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« Bling Empire  » : quand Netflix oublie le sordide

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Netflix et ses séries, tel Narcos, malgré sa façon romancée de traiter les faits, peut permettre à certains qui ne souhaitent pas en rester à ce genre de narration de bûcher un peu plus la question et de se tourner vers l’histoire contemporaine y référant.  Combien le font, je l’ignore.  Mais cette fois, il conviendrait davantage encore de le faire, car la nouvelle série « bling-bling » sur les nouveaux riches chinois, façon télé-réalité, fait l’impasse complète sur l’origine de la fortune d’une des héroïnes de la série.  Et cette origine est… sordide, car elle remonte à une période de l’histoire américaine bien sombre qu’il convient, je pense, de rappeler.

La dame s’appelle Anna Shay, elle n’est plus toute jeune (60 ans au compteur), a abusé du botox il semble bien, et à tendance à poser devant les caméras comme Mariah Carey (restée bloquée elle indéfiniment sur Noël), mais elle vole la vedette à des plus jeunes dans la série par son comportement et sa façon de riche sans complexes. Créditée ici de 600 millions de fortune personnelle, Anna Shay, présentée comme « mondaine et philanthrope«  (et  surtout excentrique, avec un fils collectionneur de… chichas, elle adore les dorures partout), est simplement présentée comme l’héritière dun « magnat industriel américain » disparu en 1995, ancien responsable d’une « entreprise de services de défense » ou, chez d’autres, comme un « marchand d’armes« .  C’est un peu léger il me semble, comme résumé.  Son père, Edward Shay (ici  à gauche), est bien plus que cela à vrai dire : c’est à la fois un des premiers entrepreneurs civils travaillant pour l’armée US et l’un des hommes associés à un des pires programmes militaires ayant existé, pas moins.  Pour expliquer son histoire, il nous faut d’abord revenir à la seconde guerre mondiale, avant de passer à celle du Vietnam qui a fait sa réputation… et sa fortune (et aujourd’hui celle de sa fille, donc). Réparons donc aujourd’hui cet oubli.

Les ingénieurs à la guerre

Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’armée américaine avait montré la force de son ingénierie et de son organisation. Des exemples précis sont là pour nous le rappeler:  durant le débarquement, la mise en place par exemple d’un pipe-line déroulé sur le fond de la Manche pour alimenter les combattants en carburant autrement que par les fameux bidons  (« Jerricans ») bien connus, aux formes très élaborées (qui eux avaient été conçus… par les allemands !).  Comme beaucoup avaient été égarés, on avait sollicité les français pour en retrouver (ici l’affiche à droite).  Sur 17,5 millions d’exemplaires débarqués en 1944, on pense que 15 millions se sont en effet volatilisés…

C’était le projet Pluto, dont il subsiste ici et là des vestiges traversant la Normandie. La construction des Boeing B-17, avions comportant pas moins d’un million de pièces chacun, via une organisation méthodique qui voit l’apparition d’une méthode d’identification des pièces qui deviendra plus tard le code-barre (il est alors circulaire), ou les gigantesques terrassements dans les îles du Pacifique pour accueillir les B-29. Leur arme la plus efficace est alors le bulldozer, le rouleau compresseur ou un engin alors inconnu en Europe : le scrapper, ou niveleuse, fabriqué par le géant industriel Letourneau en 1940. Ces constructions seront répétées en Chine, via parfois des moyens rudimentaires.

L’aviation du général Claire Lee Chennault, des célèbres Tigres Volants, bénéficiait elle aussi de se savoir-faire (ici à droite). Les américains devenant les nouveau romains bâtisseurs… d’aéroports, le monde ayant bien changé depuis depuis Ader (ou les frères Wright). Un monde qui avait soudainement accéléré : les DC-3 ou les C-46 qui franchissaient l’Himalaya étaient alors chargés par des éléphants, souvenez-vous… Les ingénieurs de l’armée américaine (les légendaires Seabees) avaient mis en place toute une gigantesque infrastructure permettant d’écraser le Japon sous les bombes, avant même que l’on se soit résolu à lancer les deux bombes atomiques.

On notera que c’est de la base de Tinian justement qu’était partie la première bombe atomique, surnommée Little Boy, larguée du B-29 Enola Gay de Paul Tibbets.

La guerre du Viet-Nam arrivant, plusieurs ingénieurs dans l’armée, lors de la précédente guerre, avaient rejoint le monde civil. Et la demande en spécialistes était tout aussi forte, les techniques évoluant très vite, le tout appuyé par les désirs de Robert McNamara d’organiser tout avec des critères hérités du Taylorisme (et sa « McNamara’s War« ), car lui-même venait du monde automobile (de chez Ford). Sa volonté héritée de privilégier la contre-insurrection est d’envoyer des « conseillers » en premier lieu puis, plus tard, de mettre en place tout un réseau de surveillance électronique fournie par Hughes, notamment. La guerre avait déjà totalement changé d’aspect, grâce notamment à l’électronique, qui remplissait maintenant tout un nez d’avion de chasse. « Au Vietnam, il y a eu un changement important et fondamental dans la façon dont les militaires traitaient les entrepreneurs civils. Business Week, en mars 1965, l’a qualifié de «guerre par contrat». C’était en grande partie parce que l’équipement militaire standard était soudainement avancé sur le plan technologique, alors que le soldat moyen avait peu de formation technique en plus des compétences de combat de base. Il y avait soudain un besoin sérieux de sous-traitants civils dotés de compétences spécialisées pour travailler côte à côte avec les troupes. Des équipes de maintenance sur le terrain avec des sociétés comme General Electric ou Johnson, Drake et Piper ont esquivé les balles à DaNang et Pleiku pour entretenir et réparer l’équipement et l’infrastructure de terrain des troupes qui en avaient désespérément besoin ».  Comme nouveaux engins par exemple, on avait amené les premiers Telluromètres (Micro-Distancer MRA 1, ici à droite) pour établir des cartographies plus précises sur place. « Le premier équipement électronique de mesure de distance à micro-ondes à succès ». Une guerre de « spécialistes presse-boutons », comme l’a si bien écrit l’étonnant Paul Virilio (quelle clairvoyance chez lui !! (1)). On bombardait désormais aidé par l’ordinateur et ça modifiait tout : c’était une affaire d’ingénieurs désormais !!

« Dans ces bureaux », note Virilio, « le nouveau point nodal de la guerre, un IBM 360-35 un ordinateur triant automatiquement les données, produites en « instantané » qui montrait l’heure et le lieu où les intercepteurs avait été activés. Sur la base de ces informations, les analystes établissaient un calendrier des mouvements de l’ennemi qui était transmis aux équipages des chasseur-bombardiers des groupes « Skyspot » qui ont permis également, en 1962, à un moment où il y avait déjà dix mille conseillers américains au Vietnam, la première guerre électronique de l’histoire, conçue à Harvard et au MIT. Cela a commencé avec le parachutage au goutte à goutte de capteurs tout au long de la route Hô-Chi-Minh (ici à gauche), et cela a continué en 1966 avec le développement de la Ligne McNamara, composée de capteurs acoustiques (Acouboy, Spikeboyet sismique (Adsid, Acousid, ici à droite inséré dans un conteneur) des détecteurs répartis le long des routes d’accès au Laos, autour des bases de l’armée américaine et surtout autour du bastion de Khe Sanh. A cette époque, le professeur à Harvard Roger Fisher a développé le concept stratégique « de barrage sol-air », en s’appuyant sur la technologie récente des Etats-Unis, car il devenait urgent de disposer de nouvelles méthodes de collecte de l’information à disposition. Et c’est ainsi qu’Eastman Kodak venu avec sa base de film en Mylar et le Dr Edwin Land de Hycon Société avec l’appareil photo haute résolution – qui tous deux ont jeté les bases pour la reconnaissance aérienne régulière sur l’Union soviétique ».

 

Les avions des ingénieurs

Plusieurs entreprises privées s’étaient « naturellement » engouffrées dans ce marché de prestations « pointues » pour l’armée US. Ou pour ne pas apparaître comme étant une intervention directe de l’armée US. L’une d’entre elles, la plus connue, a marqué les esprits : « au lieu d’être maintenus en toute sécurité derrière les lignes militaires, les entrepreneurs civils couraient le même danger que les soldats qu’ils soutenaient. Ce n’était pas la seule raison pour laquelle des entrepreneurs civils étaient actifs dans le théâtre du Vietnam. Avant même le début de la guerre, Air America transportait des fournitures sur le terrain derrière les lignes ennemies pour les membres des forces spéciales américaines qui entraînaient la CIA, qui formait le Civilian Irregular Defence Group (CIDG) du Sud-Vietnam. Il aurait été impossible d’accéder à la nourriture, aux fournitures, aux armes, au renseignement et au transport sans les pilotes d’Air America et les équipes au sol des entrepreneurs civils qui entretenaient les avions et les hélicoptères d’Air America. Les États-Unis n’étaient toujours pas encore officiellement impliqués dans le conflit au Vietnam, et engager des avions et des soldats militaires américains aurait causé l’incident international que les États-Unis tentaient d’éviter à l’époque. Les hommes et les femmes travaillant derrière les lignes ennemies sans uniforme étaient une race unique. Certains étaient d’anciens militaires, ou ex-CIA, avec la formation nécessaire pour effectuer des opérations secrètes. Cependant, ils n’avaient pas le même statut qu’un soldat américain, qui a vite appris à quel point l’ennemi était peu respectueux, alors que le nombre de prisonniers de guerre torturés commençait à augmenter. D’autres étaient de jeunes hommes (peu de femmes) qui étaient attirés par des salaires élevés, ou par le goût de l’aventure, voire par le patriotisme ou l’idéalisme ». Air America utilisait toute une flotte hétéroclite d’avions, comprenant des Pilatus, des C-46 et des DC-3, des hélicoptères Bell également, ou encore des C-123 Provider, des « DHC-3 Otter et des DH-4 Caribou.  Ci-dessus à droite le N544Y (c/n 241) d’Air America (ici à gauche il a été revendu au civil en février 1976); l’engin travaillant bien sur pour la CIA. Deux autres Caribou ont été aperçus au début des années 70 notamment à Vung Tau, il s’agit des N850PA et N851PA, portant une livrée « neutre » assez voisine : c’étaient ceux de l’entreprise PAE et non d’Air America. PAE, pour Pacific Architects & Engineers, une entreprise fondée en 1955 par un ingénieur venu d’Arlingon près de Washington, arrivé au Japon lors de l’occupation américaine qui avait suivi la guerre, et qui avait pu constater que sur place, le besoin se faisait sentir de techniciens spécialisés. Et d’autres services discrets, à vrai dire. Notre homme s’appelant Edward Shay !

Edward Shay épousera sur place une russo-japonaise, appelée Ai Oizumi alias « Aiko » (disparue en 2015). Une femme dont le grand-père, Alexander Stephanovich Yahovich, ayant été l’ambassadeur de Russie en Chine et sous le tsar Nicholas !!!  En 1968 Aiko et Shay avaient quitté le Japon pour venir s’installer en Californie. Mais lui gérant toujours son entreprise, qui avait conclu discrètement des contrats juteux avec le Pentagone. Des contrats dont l’obscurité dissimulait manifestement quelque chose, c’est sûr.

Beaucoup d’argent distribué pour un usage plus que flou

Dans le film culte Air America, un sénateur appelé Davenport (joué par Lane Smith, qui y est excellent, joue le rôle du sénateur réel Stuart Symington, pressenti pour devenir le choix de Kennedy comme vice-président, avant Johnson !). En visite sur place, il est emmené en balade dans un avion bourré d’héroïne, sans même s’en rendre compte. Il est complètement berné ! Il ne s’était aperçu de rien en tout cas. La CIA à l’époque déjà se rétribue en organisant le trafic au profit des généraux sud-vietnamiens, tous véreux au dernier degré. Dans la réalité, des sénateurs et des congressistes démocrates commencent à piaffer, ont des doutes, et demandent des enquêtes sur ce que fait exactement là-bas la CIA.  Ça aboutira à la commission Church de 1976 qui dénoncera à la fois ses magouilles en Amérique du Sud ou Centrale (y compris Cuba !) comme au Vietnam et au Laos, surtout, et son soutien aux divers trafics, de drogue ou d’armes. Un rapport du Sénat US, paru le 16 mai 1968, avait émis de sérieux doutes déjà sur ce que faisait exactement en ce sens PAE au Viet-Nam. L’entreprise, à l’évidence n’était pas très claire selon les deux envoyés ayant visité le secteur en octobre 1966 (Jerome S. Adlerman et Philip W.Morgan) et leur rapport au vitriol qui avait suivi : « l’équipe de deux hommes travaillant pour le sous- comité a conclu, à titre préliminaire, que PAE conservait en fait très peu de registres et que bon nombre d’entre eux étaient inexacts. Il y avait un manque de documentation sur le fait que leur rendement au travail avait été ou non relativement médiocre, comme cela avait souvent été allégué. PAE a loué des camions et du matériel, qui ont été remboursés par le gouvernement à hauteur de plusieurs millions de dollars. PAE a également acheté quelque 10 millions de dollars d’équipement par le biais de ses propres sources, qu’elle aurait pu obtenir à bas prix par les voies publiques normales. Beaucoup de ces articles n’étaient pas standard. PAE a installé un système de communication radio- téléphonique à l’échelle du pays qui met en parallèle le système militaire au même emplacement de base. Jusqu’à ce que les dépenses engagées par le gouvernement soient discutables. L’autorisation de PAE de faire des achats directs d’équipements, de matériaux et de fournitures était parce que les articles nécessaires n’étaient pas disponibles en ligne directement par le biais des marchés publics et des canaux d’approvisionnement. De nombreuses installations PAE semblaient être en sureffectif et mal supervisées, tandis que d’autres étaient exactement dans l’état inverse. La gestion et l’équipement des installations PAE pour le service n’étaient évidemment pas correctement adaptés aux besoins réels d’une installation individuelle locale. Bien que l’armée nous ait indiqué que cet entrepreneur est maintenant sous la surveillance appropriée, et que l’armée l’atteindra pour «casser» des parties de l’ensemble du contrat revu pour l’appel d’offres. Je crois qu’un audit complet du contrat PAE devrait être entrepris pour déterminer si des fonds considérables pourraient être retournés au gouvernement fédéral. » En résumé, PAE faisait sur place ce qu’elle voulait, en roue libre et sans aucun contrôle… au nom de la CIA !!!

Des risques énormes encourus

Les employés de PAE  avaient été attirés par l’argent, leur salaire étant élevé, mais en échange ils prenaient de sérieux risques. Les « contractants » ont travaillé à leurs risques et périls comme les militaires eux-mêmes : et au Viet-Nam ça n’a pas été de tout repos. Le 9 juin 1965, par exemple, Frank A. Peterlin, et son équipe du  Seabee Technical Assistance Team 1104 en train de construire un bâtiment pour le Civilian Irregular Defense Group Camp (CIDG), justement, ces « auxiliaires » civils armés, près du village de Dong Xoai, à 55 miles au nord de Saigon, ont été attaqués par les Viet-Cong. Le camp contenant deux compagnies de  CIDG, des forces régionales spéciales Vietnamiennes, un escadron blindé et une batterie de canons de 105 mm, howitzer battery, et le District Headquarters. L’attaque comme celle coordonnée du Tea sera terrible. Frank A. Peterlin tuera même en combat rapproché à cette occasion un Viet-Cong au lance-flammes, la seule arme dont il avait réussi à s’emparer à ce moment-là !!! Un Seabee, Marvin G. Shields, USN, recevra à titre posthume la Congressional Medal of Honor pour son courage au feu ces deux jours-là. La photo d’un des bâtiments après l’assaut (ici à droite) donne une idée de la violence des combats pendant les deux jours de combat. On pense bien sûr à une décor de Full Metal Jacket, qui s’approche en studio (en Angleterre !) assez bien de la réalité quant à la brutalité des combats.

Bosser pour la CIA, une affaire à long terme

PAE a toujours travaillé avec la CIA, en réalité.  Quarante ans plus tard, le 24 avril 2018, on s’apercevait de ce qu’avait pu être cet obscur travail à risques, avec la remise d’une récompense à Warren Stembridge, vice-président exécutif du secteur du renseignement chez PAE (ici à droite), pour avoir travaillé… pour la CIA pendant 32 ans, et recevoir pour ça la très rare Distinguished Intelligence Medal dans le renseignement, une distinction annoncée sans hésiter par PAE elle-même !!  Oh, pas pour ce qu’il aurait pu faire au Viet-Nam :  Stembridge est né en 1973 !!!  Non, en réalité, depuis sa fondation en 1955, PAE n’a jamais cessé en fait de travailler avec et pour la CIA !!! Et son fondateur Shay n’a pas simplement servi à acheminer discrètement des armes ou des équipements électroniques au Viet-Nam. Ses ingénieurs ont aussi manié la truelle, mais pas uniquement pour fabriquer de quoi héberger des soldats…

Edifier en réalité des centres de torture

La révélation d’une universitaire est en effet terrible à entendre. « La société, que le père de Shay a lancée en 1955, aurait été impliquée dans l’opération de contre-insurrection dirigée par la CIA qui visait à cibler et à infiltrer des agents communistes en civil dans les villages sud-vietnamiens de 1968 à 1972. Recherche publiée par l’Université du Texas à Dallas précise que la CIA a embauché PAE pour construire des installations d’interrogatoire dans les 44 provinces du Sud-Vietnam en 1964. « En fournissant une couverture à la CIA, le PAE, en construisant 44 sites d’interrogatoire, a érigé ces espaces extralégaux de violence et de meurtres américains sur le sol étranger », a déclaré Lien-Hang T. Nguyen (ici à droite), spécialiste de la guerre du Vietnam, professeur agrégé d’histoire des États-Unis et de l’Asie de l’Est. à l’Université de Columbia a déclaré. Les responsables américains ont régulièrement nié les aspects les plus controversés du programme Phoenix. Mais de nombreux experts et ceux qui ont été témoins de l’effort de contre-insurrection ont raconté le recours à la torture et aux meurtres, dans lesquels le PAE n’était pas directement impliqué, ce qui « reflétait le peu d’inquiétude des États-Unis pour l’aspect guerre civile de la guerre du Vietnam, « dit Nguyen ». PAE avait bâti les centres de torture, où l’on avait aussi abattu à tour de bras. A gauche, les « cages à tigre » entourées de barbelé, du musée Ho Chi Minh à Saïgon : là où étaient enfermés les prisonniers Viet-Congs. Ce sont celles de la prison de Phu Quoc, bâties celles-là au départ par… les  français au temps de l’Indochine !

Sur les conseils d’un colonel français

Tout provenait d’une façon de faire expérimentée à Fort Bragg, mais dont l’origine était… française, commise par un personnage peu recommandable chez les militaires français, qui s’est vanté d’avoir pratiqué la torture en Algérie (où les français avaient aussi innové en montant des mitrailleuses sur des hélicoptères et en bombardant au napalm des villages complets). « Selon un entretien du colonel américain Carl Bernard avec la journaliste Marie-Monique Robin, Paul Aussaresses, qui était alors à Fort Bragg, lui a montré un brouillon du livre, non encore publié, « La guerre moderne » du colonel Roger Trinquier. Aussaresses et Bernard ont envoyé un résumé du livre à Robert Komer (en), un agent de la CIA qui deviendra l’un des conseillers du président Lyndon Johnson pour la guerre du Viêt-nam. Selon C. Bernard, c’est « à partir de ce texte que Komer a conçu le programme Phoenix, qui est en fait une copie de la bataille d’Alger appliquée à tout le Sud Viêt-Nam. […] Pour cela, on retournait des prisonniers, puis on les mettait dans des commandos, dirigés par des agents de la CIA ou par des bérets verts, qui agissaient exactement comme l’escadron de la mort de Paul Aussaresses. » L’une des « innovations » du programme était le waterbording, la simulation de noyade qui a été reprise ensuite en Irak comme en Afghanistan (et là aussi par des « civils », comme ces deux larrons-là de Spokane, des mormons, appliquant en miroir le programme du SERE), à une large échelle, comme on a pu le déplorer. L’un des ouvrages sur le programme Phoenix est celui de Douglas Valentine (ici à gauche), à compléter avec « The CIA as Organised Crime » du même auteur, qui reste néanmoins critiquable mais permet de se faire une idée du problème.

Un massacre déguisé

Le chiffre final est effrayant :  « William Colby, qui est finalement devenu le chef de la CIA, a dirigé les efforts et a admis dans son témoignage devant un sous-comité de la Chambre en juillet 1971 que le programme avait tué 20 587 suspects Viet Cong. D’autres sources rapportent des chiffres bien plus élevés. Nguyen a déclaré que les agents devaient capturer, interroger ou tuer des agents ennemis présumés. Les équipes d’élite antiterroriste, connues sous le nom d’Unités de reconnaissance provinciales, étaient composées de Sud-Vietnamiens dirigés par la CIA pour « torturer ou tuer en toute impunité », a-t-elle déclaré. Dans un autre récit de l’opération, feu William R. Corson, lieutenant-colonel de la Marine à la retraite revenu d’une tournée au Vietnam en tant que critique virulent de ce qu’il y a vu, a écrit qu’il y avait peu de discernement entre «la culpabilité» ou «l’innocence» dans l’exécution du programme, qui a coûté non seulement la vie à des civils vietnamiens, mais aussi celle des Marines américains ». Ces South Vietnamese Provincial Reconnaissance Units (PRUs) avaient été créées en 1967, par une unité des SEAL appelée Detachment Bravo (Det Bravo). Et ils étaient devenus… des tueurs.

La politique du chiffre avant tout impliquant des « erreurs »

Le recours à une société extérieure était idéal pour le pouvoir en place qui pouvait se laver les mains de ce qu’on y faisait exactement dans ces bâtiments. «C’était la conséquence logique du jeu des faux« comptages de corps »qui étaient utilisés par des commandants sans scrupules pour gagner des médailles et des éloges», a écrit Corson dans «The Betrayal». Hoang a déclaré que le décompte des corps était devenu une fixation dangereuse pour les États-Unis. « C’est ce que j’appelle le blanchiment de réputation. Plutôt que de laisser l’État le faire, l’État a sous-traité à quelqu’un d’autre pour le faire. Donc, si quelqu’un d’autre le fait et qu’il le salit, c’est sur lui. Vous avez créé un pare-feu. entre l’État et le résultat », a déclaré un expert. « Du côté américain de la guerre, les gens étaient tellement obsédés par les statistiques et le comptage des corps et du nombre de personnes qui ont été tuées. Ils comptaient tout le monde, et ils tuaient tout le monde », a-t-elle dit. Nguyen a déclaré que le programme avait laissé une cicatrice indélébile sur l’histoire américaine, affirmant que « le programme Phoenix se présente comme la démonstration la plus emblématique et la plus nue de la puissance américaine incontrôlée et injustifiée ». Bien que PAE ne détaille pas explicitement son implication dans le programme Phoenix par son nom sur son site Web, il révèle que la société a remporté le premier des 12 contrats successifs pendant la guerre du Vietnam en 1963. Elle est devenue le premier entrepreneur dans une zone de combat à planifier , concevoir et construire des installations pour le gouvernement américain, selon le site. Le site indique également qu’en 1968, il comptait 104 bases et camps et plus de 30 000 employés au Vietnam, ce qui en fait « l’un des principaux entrepreneurs développant des infrastructures d’ingénierie et de logistique ». Et PAE a continué après à en fabriquer des bâtiments. Et des centres de torture… où l’on disparaissait aussi beaucoup, un peu partout dans le monde. A droite ici le Regional Military Center in Trujillo construit dans les années 80. Le Honduras, un des fiefs… de la CIA en Amérique latine !!

Un Honduras aux prisons où l’on torturait à tour de bras au sein de l’Intelligence Battalion 3–16 or Battallón 316 (alias « Group of 14 »), fort lié aux exécuteurs argentins, selon l’interrogateur repenti Florencio Caballero : « Caballero a décrit le rôle de la CIA comme ambigu. Caballero a déclaré que ses officiers supérieurs lui avaient ordonné, ainsi qu’à d’autres membres des unités de renseignement de l’armée, de cacher leur participation aux escadrons de la mort aux conseillers de la CIA. Il a ajouté qu’il avait été envoyé à Houston pendant six mois en 1979 pour être formé par des instructeurs de la CIA aux techniques d’interrogatoire. Ils m’ont préparé à l’interrogatoire pour mettre fin à l’utilisation de la torture physique au Honduras – ils ont enseigné des méthodes psychologiques, a déclaré M. Caballero à propos de sa formation américaine. « Aussi quand nous avons eu quelqu’un d’important, nous l’avons caché aux Américains, nous l’avons interrogé nous-mêmes et l’avons ensuite remis à un escadron de la mort pour le tuer. » « La CIA a eu accès à des prisons secrètes de l’armée et à des rapports écrits résumant les interrogatoires de suspects de gauche, selon M. Caballero et deux responsables américains. Les Américains ont également déclaré que la CIA savait que l’armée hondurienne était en train de tuer des prisonniers. Les responsables américains ont déclaré qu’à un moment donné, en 1983, la CIA a demandé l’arrêt des meurtres. En 1984, l’agent de la CIA a été rappelé du Honduras après qu’un parent d’un prisonnier l’ait identifié comme ayant visité une prison secrète, ont déclaré deux responsables américains et un responsable hondurien. Selon M. Caballero, l’agent était un contact régulier entre les interrogateurs et la CIA. Il semble donc probable que la CIA était au courant que les tueries se poursuivaient. » En somme c’était le même schéma que pour le plan Phoenix. Dans des bâtiments similaires, édifiés par les ingénieurs de PAE…  On y a supprimé des américains aussi, des prêtres trop curieux, comme Iván Betancour ou Fr. James (Guadalupe) Carney, ici en photo, rappelés ici par un de leurs contemporains. Des visages qui interpellent toujours, quarante ans plus tard. Le manque de discernement déjà évoqué au Viet-Nam : on a supprimé indifféremment, toujours au nom de la crainte du « communisme ». Chez des curés ça semble un comble, c’est le moins qu’on puisse dire !

Argent sale

Voici donc d’où viennent les 600 millions de la botoxée décomplexée : à sa mort, en 1995, Edward Shay était arrivé à la tête d’un empire dont il était le seul actionnaire. Son fils Allen E. Shay avait repris le flambeau… pour tout revendre avec sa sœur et leur mère (disparue en 2015), les trois héritiers cédant le tout en 2006 à Lockheed Martin, pour la somme de 1,2 milliard de dollars… payés alors en cash (le fils avait gardé les habitudes du père, visiblement !). Plus tard ça a donc continué, avec aussi les mêmes pratiques héritées du fondateur.  Du Viet-Nam on était passé en Afghanistan, mais en gardant les mêmes habitudes il semble bien: « Un gestionnaire de programme PAE, son épouse et deux employés d’un sous-traitant ont également plaidé coupables à des accusations criminelles de fraude à la passation de marchés à ce sujet. En 2017, il a payé une amende de 5 millions de dollars au gouvernement américain après avoir « omis de respecter les exigences de contrôle du personnel travaillant en Afghanistan dans le cadre d’un contrat du Département d’État pour les services de main-d’œuvre ». Une récompense de 875 000 dollars a été accordée à un lanceur d’alerte PAE qui a signalé le problème pour la première fois »… En  2016, PAE est passé dans le giron du Platinum Equity de Tom Gores après Lindsay Goldberg qui l’avait lui-même racheté à Lockheed Martin Corporation. En 2010, les frères Gores lorgnaient sur Hollywood, et les studios Miramax pour se diversifier. « En 2015, PAE était 57e sur une liste des 100 principaux entrepreneurs du gouvernement des États-Unis sur la base de la valeur totale des contrats signés, recevant 1,04 milliard de dollars en attributions de contrats cette année-là. La même année, il a accepté, avec deux sous-traitants, un règlement à l’amiable de 1,45 million de dollars avec les États-Unis au sujet des allégations selon lesquelles il s’était engagé dans le truquage des offres d’un contrat de l’armée américaine pour le soutien en Afghanistan. Selon le ministère américain de la Justice, d’anciens dirigeants de PAE et de RM Asia ont acheminé des contrats de sous-traitance payés par le gouvernement à des entreprises appartenant aux anciens dirigeants et à leurs proches en utilisant des informations confidentielles sur les offres pour s’assurer que leurs entreprises battent d’autres concurrents honnêtes.  »  Tom Gores, est aussi le propriétaire des Detroit Pistons, une franchise de la NBA. Ce qui est un peu un comble, quand on sait son soutien évident à Donald Trump et le fait que sa fortune est basée sur la  propriété de Securus, le plus grand service téléphonique pénitentiaire du pays !!! « Securus escroque tristement les familles des personnes derrière les barreaux jusqu’à 25 dollars pour un appel téléphonique de 15 minutes. Selon le Ella Baker Center, un tiers de toutes les familles s’endettent en essayant de rester en contact avec la famille et les amis incarcérés, et 87% de ceux qui paient ces frais sont des femmes de couleur » note ici, écœuré, The Nation.

Le dernier coup de pouce à PAE est venu, et ce n’est pas un hasard donc, de l’administration Trump :  « mais le changement le plus notable dans le travail de l’entreprise en 2018 est venu avec l’exécution d’un contrat de stratégie nationale de maintenance (NMS) pour soutenir la mission de l’armée américaine en Afghanistan. Le gouvernement américain a attribué ce contrat à PAE en mai 2017, et le programme a atteint sa pleine capacité opérationnelle en décembre 2017. Ce contrat de formation vise à créer une armée nationale afghane et une force de police autonomes sur le plan logistique. PAE a été engagée de 390 millions de dollars depuis l’exercice 2017 sur un contrat d’une valeur totale de 815 millions de dollars qui devrait se terminer en mai 2022″… un chantier dispendieux, comme l’a été toute la guerre et qui ne porte toujours pas ses fruits, à se demander quand un offensive talibane généralisée va-t-elle renverser cette armée trop fragile. « Financièrement, le bilan est tout aussi lourd et dramatique. Sur les mille milliards de dollars dépensés, 15 % sont allés à la reconstruction du pays. Près de 90 milliards ont été affectés à la formation e et à l’équipement des forces armées (ANA) et de la police (ANP), 25 au développement et une dizaine à la lutte contre les trafics de drogue. Cette fameuse reconstruction est toujours supervisée par le Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction (SIGAR) qui publie chaque trimestre, depuis 2008, ses Quarterly Report to Congress . Des rapports destinés aux élus qui font le point des avancées tant civiles que militaires » note ici Ouest-France.

 

Non là, franchement, regardez donc la série Netflix si ça vous chante, cette saga des bling-bling asiatiques, ces narcisses, un angle médiatique fort porteur bien subodoré par la chaîne, mais de grâce n’ignorez plus d’où vient cet argent sale, très sale…

 

(1) C’est lui, entre autre, qui a écrit : « On ne peut pas comprendre la terreur sans comprendre la vitesse, l’affolement, le fait qu’on soit pris de vitesse, occupés par une information. Pour cela, la phrase d’Hannah Arendt est capitale : « La terreur est l’accomplissement de la loi du mouvement ». C’est ce qui se passe en ce moment à travers l’accélération de l’information, qu’il s’agisse de l’effondrement du World trade center, du krach boursier, de la tempête Xynthia ou de la coupe du monde de football, …, nous vivons une synchronisation de l’émotion, une mondialisation des affects. Au même moment, à l’échelle de la planète, on peut ressentir la même terreur, la même inquiétude pour l’avenir ou ressentir la même passion. C’est quand même incroyable. Ce qui me porte à croire que nous sommes passés de la standardisation des opinions -rendue possible grâce à la liberté de la presse- à la synchronisation des émotions. La communauté d’émotion domine désormais les communautés d’intérêt des classes sociales qui définissaient la gauche et la droite en politique, par exemple. Nos sociétés vivaient sur une communauté d’intérêt, elles vivent désormais un communisme des affects. »

 

 

Le journal citoyen est une tribune. Les opinions qu’on y retrouve sont propres à leurs auteurs.


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