Notre étude du jour n’est pas venue nous voir, en Normandie, alors qu’elle a participé en 2010 à une réunion pour fêter les 75 ans du DC-3, alias C-47 dans l’armée. A l’époque, et jusqu’à une époque récente, cet avion était peint aux couleurs de l’US Air Force, celles rencontrées ici avec notre Miss Virginia précédente. Depuis, il s’est transformé en un avion bien plus sobre, esthétiquement, qui n’aurait pas autant attiré l’attention des admirateurs du célèbre « Dak » sur nos côtes. Il faut dire qu’il a tout intérêt à se montrer discret : il travaille en effet pour l’armée, après avoir, lui aussi, connu une période « évangéliste » en Colombie !!! Des évangélistes dont nous n’avons pas encore fini de parler, en exhumant aujourd’hui le cas oublié d’un jeune transfuge du KGB… et celui d’un agent de la CIA qui a eu droit, 72 ans après sa disparition, à son étoile sur les murs des employés mort en service, décédé à bord d’un… C-47 !
Un autre du même genre… suspect
Un autre C-47 volant toujours aujourd’hui dans une société, elle aussi liée à de vieux appareils (comme un Sabreliner, le N33TR et même un très beau T-33), avait été repéré il y a quelque temps dans le ciel texan. Il appartient aujourd’hui à une société plutôt inquiétante, pour faire court.
Sa découverte remonte au 12 décembre 2013, avec une photo de mauvaise équité, prise à la volée par un téléphone portable, le soir à la tombée de la nuit et qui monte un avion étrange, affublé d’une excroissance à l’avant (cf ici à gauche) . Il n’en avait pas fallu plus pour que cela enflamme les forums spécialisés, qui très vite, avaient cerné l’animal nocturne qui volait ainsi au dessus de Dallas. Le lendemain, une photo le montrant en vol de jour paraîssait. Visiblement, c’était un DC-3 muni de grands hublots rectangulaires, comme on a pu le voir pour les versions VIP du C-47, et son excroissance à l’avant n’est autre qu’une boule FLIR géostablisée d’un type bien connu (cf ici à droite, et ici un modèle SAFRAN).
Les internautes à l’affût le cernent vite : c’est le N92578 peint aux couleurs de l’USAF, portant sur l’empennage une indication « Norton EFB », qui a été photographié ici sans sa boule IFR en 2007 à Grand Junction Walker Field dans le Colorado. A l’avant, sous les vitres latérales du pilote, est indiqué son propriétaire : Airline Imaging. On découvre que la même firme en possède trois de C-47, dont un second peint en rouge et blanc, le N737H, les deux ayant participé en 2010 à la célébration des Dakotas d’Oskosh, pour les 75eme anniversaire de la création de l’appareil (le N737H étant lui aussi un ancien de l’armée, ex 43-30631, ex NC39340, ex N69011. ex N7H…).
L’avenir est dans le vieux coucou
La firme semble vraiment être une « DC-3-addict », car en 2012 elle a aussi racheté le N583V, son troisième appareil, resté plus de trente en déshérence sur le Sycamore Strip près de Fort Worth, au Texas et entièrement re-poli et réaménagé par ses soins. Un C-47 « kité », lui aussi. C’est un ancien lui aussi, le 42-92555, devenu Dakota MKIII dans la RAF, appelé KG360, devenu plus tard canadien en CF-ESO pour travailler avec Imperial Oil. Redevenu américain le 6 novembre 1974 comme N583V.
On découvre aussi rapidement que ces vieux DC-3, achetés à très bas coûts, réputés pour leur facilité d’emploi et leur stabilité de vol, constituent de très bonnes plateformes d’essais de matériels destinés à l’armée américaine. Notre exemplaire du jour a déjà quitté sa livrée blanche et métal « historique » pour une décoration plus neutre en tons de gris-bleu mais en gardant son immatriculation N92578.
Le 17 juin 2017, on a la confirmation de son rôle de support aérien à des tests de matériels destinés à d’autres engins de l’armée. Dans un hangar de l’US Air Force Research Laboratory (AFRL) sur la Wright-Patterson Air Force Base, en Ohio, il est en effet photographié, muni cette fois d’un large pod abritant deux boules FLIR, un modèle appelé AgilePod, lié à un programme nommé Blue Guardian Open Adaptable Architecture, dirigé par Mark DiPadua et qui est en fait destiné à être emporté par la prochaine version du drone MQ-9A Reaper !!!
Les engins du futur sont mis au point sur un avion bientôt octogénaire ! Il y a de quoi être surpris ! A la liste de vieux machins restés fort pratiques pour « Imaging », on peut ajouter l’ex-USAF numéro 53-7819, un bon vieux Convair 240, ce cheval de trait du transport aérien aux Etats-Unis sous l’immatriculation N131CR, qui porte en fait le long nez du N240HH, autre fois utilisé dans les années 90 par Texas Instruments ! Ci-dessous le fief d’Imaging, vu par satellite et Virtual Globe Trotting, le petit aéroport discret de Midlothian, au Texas. On distingue sur place le N737H et à ses côtés le N583V :
La « biographie » de notre exemplaire oiseau de nuit de Dallas est elle aussi fort intéressante : né en 1943 en qualité de C-47-DL, numéroté 9028, il est envoyé dans l’U.S. Army Air Force sous le vocable 42-32802, mais il est été très vite décommissionné pour devenir civil et porter l’immatriculation NC9562H et ce dès 1946, puis devenir N13875 pour National Automotive Fibres, Inc. de Detroit, Michigan, qui l’a appelé alors « The Administrator » en 1953. Treize années plus tard, il devient N75C pour la Detroit Steel Corp, puis fait dans l’éducation en passant N7503 pour la Ohio University, d’Athens, (dans l’Ohio) où il devient il devient N1800U en octobre 1969 ce qui très vite change en N1800D.
Ces sont les prémices d’un changement plus radical puisqu’en novembre 1971, comme son collègue de l’épisode précédent il entre au JAARS, lui aussi, chez Jungle Aviation & Radio Service. Nos fameux évangélistes et toute leur quincaillerie de radios cryptées, vus lors de nos deux épisodes précédents ! Un de plus !
Trois ans plus tard, quel hasard, il devient colombien et affiche désormais l’immatriculation CP-1020 pour l’Instituto Linguistico de Veranol où il est alors piloté par Jon Halterman; l’Institut est, on l’a vu, le faux-nez de la CIA dans la région, qui le repeint de deux manières différentes comme on peut le voir. Il repasse chez Jungle Aviation & Radio Service Inc, le 27 août 1981, le fameux JAARS décrit précédemment et passe ensuite chez California Air Tours, en Californie, puis effectue un passage chez Missionary Aviation Fellowship (la non moins célèbre MAF et son imposante flotte aérienne de mononoteurs),
de Redland, Californie en 1984, – il est ici à droite en photo en 1987 à Fort Lauderdale – Executive – pour devenir dans la foulée Nostalgia Air Tours à Hawaii, au nom d’Asher Ward (à Van Nuys, CA) où il prend le surnom de « A Blast from the Past ».. et se fait réenregistrer comme DC-3 à Nantucket, dans le Maine, en juin 1991.
Remis à jour entièrement par la Santa Barbara Aerospace Company à San Bernardino (en Californie) où on l’affuble de l’immatriculation N92578 et on le décore aux couleurs de l’USAF, avec le petit « Norton AFB » déjà décrit sur l’empennage, car il est basé sur un ancien aérodrome militaire de San Bernardino en Californie, celui qui a accueilli des B-45 Tornado dans les années 50, puis qui a servi de terrain d’accueil à l’Air Force Logistics Command to Military Airlift Command (MAC). Il est devenu entre-temps civil (depuis 1995).
L’avion est un temps attitré à Richard Brown de Rockwall, au Texas, le 30 juillet 2001. Il est ensuite racheté (en 2006) par Airborne Imaging dont l’adresse est alors indiquée à Houston, au Texas. En 2007, le 2 mars, c’est aussi à noter, on le retrouve cité comme ayant été aperçu à sur la Base Aerea Coronel Hector Carracioli Moncada, de La Ceiba, au Honduras, décrit comme « étant impliqué dans la lutte anti-drogue » (grâce à ses équipements de visualisation nocturne et ses capacités à « scanner » le sol de sa boule FLIR, on s’en doute). Le voici alors au service de la DEA, après avoir été un des piliers du JAARS, paravent de la CIA !!! Avouez que ça lui fait un beau CV ! Et surtout qu’il n’a pas peur du ridicule en traquant les trafiquants après avoir fait partie d’un organisme fortement soupçonné d’alimenter le réseau (ci-dessus son habillage le plus récent) !












Son père, mort dans un accident de C-47, était de la CIA !
Comme nous avons pu le voir dans l’épisode précédent, c’est Charlotte Dennett (ici à droite avec son compagnon Gerald Colby), qui a particulièrement bien suivi le dossier des évangélistes du JAARS et du SIL et leurs liens douteux avec la CIA. Or, fait étonnant, lors de ses recherches sur cette même CIA, elle était tombée par hasard sur son propre nom de famille (son frère s’appelle Daniel Dennett, c’est un un philosophe spécialiste de sémantique) !! A sa grande surprise, elle était en effet tombée sur le cas de son propre père, né en 1910 et décédé alors qu’elle était en très bas âge (quelques mois, son frère n’avait alors que cinq ans), un père dont elle ignorait tout !
Il s’agît de Daniel C. Dennett, Jr., un ex professeur d’université réputé, devenu avant et pendant la guerre un spécialiste du Moyen-Orient car il maîtrisait déjà l’arabe, ainsi que l’allemand et le français ! et qui avait enseigné à Beyrouth (il est cité en bonne place dans « America’s Great Game: The CIA’s Secret Arabists and the Shaping of the Modern Middle East » de Hugh Wilford).
Engagé en 1943, par le Bureau des services stratégiques et le Département d’État, il avait préféré très vite choisir la voie du renseignement au sein de l’OSS (créée le , l’organisme qui, on le sait, a préfiguré la création de la CIA (en 1947 seulement).
Il travaillait alors pour le CIG (la Central Intelligente Group), qui avait déjà remplacé après guerre l’OSS. Une OSS présente sur plusieurs fronts : en 1945, on le rappelle, ce sont des gens du Détachement 101 qui furent envoyées, rattachés au CIG qui, via Kunming, en Chine, (une ville déjà citée ici avec Chennault) va aller aider en Indochine le mouvement Việt Minh… qui lui-même lutte alors toujours contre le Japon… et qui s’apprêtait à le faire contre les français !
L’homme était haut placé, déjà. Dennett, un jour, rencontra en effet Kim Philby, lui aussi un arabisant, on l’a oublié, le célèbre espion qui s’avérera être un agent soviétique, et peu de temps après, en revenant chez lui, il avait affirmé ne pas être sûr de revenir toujours… vivant (2) de ses missions. Il était devenu chef des opérations du CIG à Beyrouth et son aura était telle que certains pressentis pour former la future CIA voyait son ascension d’un mauvais œil : on craignait semble t-il qu’il n’en devienne le haut responsable… mais il n’en aura pas le loisir : le le 20 mars 1947, six mois avant que le CIG n’échange ses initiales contre celles de la CIA, selon le National Security Act de 1947, l’avion dans lequel il circulait, s’écrase à Dessie, en Ethiopie.
Un inévitable C-47 alors occupé seulement par 4 membres d’équipage et ses deux passagers de valeur dont un surnommé « Carat » (le surnom de Dennett) ! Des passagers… et du matériel : l’avion contenait en réalité un appareillage radio sophistiqué et une caméra arienne fort précise.
Le même type d’équipement qui occupait tout l’avant du P-38 Lightning pendant la guerre (visible ici à droite lors de son installation sur le P-38 « Dim View » du 7th Photographic Group de reconnaissance). Des cameras de type K-17 fabriquées par Fairchild qui serviront de base à celles installées plus tard dans les satellites. A l’époque, l’empereur Haile Selassie était en train de négocier un contrat pétrolier avec une firme américaine… et l’appareil servait à cartographier les futurs sites d’installation de pétrole (3).
L’avion 42-93804 (13756), dont on sait quasiment rien, avait décollé d’Asmara et devait rejoindre Addis-Abebba. D’aucuns ont émis après la thèse de son sabotage. Si bien que personne ne souhait en parler en interne comme à l’extérieur. Le père de Charlotte, en effet, n’a longtemps figuré nulle part :
la CIA, créée juste après son décès, il n’a pas eu le droit (jusqu’il y a peu) d’avoir son étoile gravée sur le mur bien connu de l’organisme qui célèbre ses héros. Quand Charlotte a voulu obtenir son dossier, après des années de combat, elle a reçu des pages entières (300 !) largement noircies par la censure (« redacted »). Visiblement Bennett avait joué un rôle très important un Proche-Orient !!! Mais au final, le 21 mai 2019, on lui accordait cette ultime reconnaissance avec le Lieutenant John W. Creech, passager du même avion et autre membre du CIG avec les deux étoiles supplémentaires ajoutées fort tardivement ce jour-là au mur connu des agents de la CIA décédés en opérations. Nous revoici revenus au sein même de la CIA, en étant partis encore une fois d’un C-47 ! Décidément !

(2) Le 17 décembre 2010, dans whowhatwhy.org, voici ce qu’elle écrivait : « Il avait été recruté en raison de son éducation à l’histoire européenne et à l’islam à Harvard, et de ses études de troisième cycle inestimables dans les années 1930, où il enseignait l’anglais aux Arabes à l’Université américaine de Beyrouth. En 1943, juste avant son départ pour Beyrouth, il a envoyé un avertissement à un auditoire d’universitaires: «Que Dieu nous aide si jamais nous envoyons des troupes au Moyen-Orient». Pourtant, une fois plongé dans son travail d’espionnage, il s’est retrouvé jouer au grand jeu pour le pétrole. La même année, en 1943, il écrivit dans une « Analyse de travail » (que j’ai publié plus tard dans The Village Voice) et ce grâce à l’inattention d’un rédacteur de la CIA qui avait raté cette ligne – que le pétrole de l’Arabie saoudite était si important qu’il fallait qu’il «soit contrôlé à tout prix». Et quand il a dit «tout prix», il ne plaisantait pas. Il avait été formé pour anticiper une après-guerre « ouverte à tous » parmi les anciens alliés américains de la Seconde Guerre mondiale dans leur quête de pétrole arabe. Son implication dans la tentative de sécuriser les plus grandes réserves de pétrole du Moyen-Orient pour les États-Unis – le pétrole de l’Arabie saoudite – lui a coûté la vie, ainsi que celle de dizaines de millions d’Arabes et de Juifs. Mais c’est une autre histoire ». Voilà qui explique très bien, en fait, les interventions des dernières décennies au Moyen-Orien. !!!
3) la mission a longuement perduré : en 1969 encore, trois hommes, Jack Miller, Lee Rodawalt, et Gerald Johns monteront à bord d’un DC-3 qui décollera de Dallas, Texas (sur l’Addison Airport) jusque Addis Abebba, en Ethiopie au nom de la U.S. Mapping Mission. Monté à bord d’un C-47 de remplacement, l’infortuné précédent surnommé Snoopy s’étant vautré sur place (cf ici à droite).
Cet avion servait d’épandeur à pesticide au Regional Insect Control Project-Locust Control (USAID) installé au Liddeta Airportde 1963 à 1965 : il servait en fait à combattre les sauterelles ! Sur place, il y en avait trois de C-47 , dont le N91260 (ici en plein chargement de ce qui semble être l’empennage d’un avion) le fameux Snoopy. L’avion datait de 1943, c’était leC-47A-30-DK by Douglas construit à Oklahoma City de venu le 43-48111 attribué en 1965 au Department of State Agency For International Development, à Washington.
Le remplaçant était un R4-D de la Navy, le 17203, sorti de son cocon protecteur en Arizona. Le long trajet avait été Banger, dans le Maine, puis Gander, dans le Newfoundland, lieu bien connu ici, direction les Açores (l’engin avait été mini de réservoirs supplémentaires pour effectuer 13 heures de vol d’affilée) puis Ankara en Turquie, un vol au dessus de l’Iran puis Riyad en Arabie Saoudite et enfin l’Ethiopie. Soit douze jours de trajet au total ! Profitait-on de l’épandage anti-sauterelles pour faire quelques clichés au passage ? Ça semble incongru ! Le RD-4 « nouveau », accidenté à Trigol en 1968, est ensuite devenu 5Y-ACF… dans la police kenyane !
Article précédent:
Parmi les visiteurs de Normandie, beaucoup d’anciens avions… de la CIA ! (6)