Quarante ans après, le bilan est à faire. Qu’est-ce qui a bien pu faire gagner les USA et faire perdre les soviétiques ? Leurs dirigeants ? Leur matériel ? Leurs fusées seules ? Le débat dure depuis tout ce temps. Historiquement, c’est assez incompréhensible : au départ, les russes laminent toute concurrence pendant dix années. Leur échec, au vu de ce que l’on savait à l’époque, est incroyable.
Aujourd’hui, on en sait un peu plus. Ce sont deux choses qui ont fait des espoirs lunaires russes un véritable calvaire : leur incapacité à construire de gros moteurs performants, doublée d’une direction purement politisée, où les coups bas entre services sont de règle. Le principe maintenu de toujours: faire réaliser entièrement deux projets et de choisir politiquement au dernier moment le définitif est propice à l’élaboration de paniers de crabes où chacun est le rival de l’autre, ou chaque équipe entretient sa coterie au Kremlin.
Ça peut marcher, avec un responsable à la très forte carrure. Ce sera le cas de Korolev, peu amène avec ses propres troupes (ici à droite avec Gagarine et en-dessous à gauche faisant du planeur à la fin des années 30), il pratiquait aussi l’aile volante BICh-8 de Cheranovsky) . Une fois Korolev disparu, l’astronautique russe va errer de projets en projets sans distinguer le bon du mauvais. L’URSS aura aussi un autre problème, et de taille : la conquête spatiale, qui n’est qu’un des volets de la course à l’armement, l’a littéralement ruinée.
L’état russe n’a plus un rouble à mettre dans la recherche spatiale. Il y a aura bien des sursauts, dont Bourane et les deux stations spatiales précurseurs du genre, Mir et Salyout, mais ce sera tout. La Russie ne se relèvera jamais de son échec lunaire. Pourtant, aujourd’hui, grâce a sa ténacité et à ses lanceurs mythiques, c’est elle qui peut proposer de ravitailler l’ISS là où les américains n’ont rien prévu. La guerre a dévoré les budgets de la NASA pour les année à venir, et son futur s’annonce sombre (1). Ci-dessous Mir, une des dernières réussites spatiales russes lancée en 1986 et détruite en 2001.
La grande différence entre les américains et les russes, au delà de la conception de leurs vaisseaux spatiaux ou de leurs sondes, est aussi dans la vision qu’ils ont de leurs fusées. Les uns sont du genre évolutifs, et plutôt prudents, les autres accumulent des projets successifs et donc les possibilités d’échecs, en prenant davantage de risques.
Les uns comme les autres partent pourtant du même background : celui de Peenemünde, qu’ils ont tous deux savamment pillé. Les américains emportent le gros lot, les russes les miettes, allant jusqu’en Pologne ramasser des morceaux d’engins ayant raté leur trajectoire. Il faudra 92 trains pour ramener en URSS ce qu’ils avaient glané, ingénieurs compris. Et il y en avait en effet, à rapporter : durant la guerre, les allemands avaient réussi à tirer 1561 missiles V2.
Des chercheurs allemands des deux côtés
Les américains, sous la direction d’Holger Toftoy, feront des WAC-Corporal (à alcool et acide nitrique, ici à droite) à White Sands à partir des essais de V2 capturés, les russes des R1 et des R2, véritables copies conformes.
(ici ci-contre, Toftoy est au fond à gauche avec le pionnier allemand Hermann Oberth au premier plan, Ernst Stuhlinger à gauche, ramené aux USA par l’Opération Paperclip, Robert Lusser, ingénieur chez Messerschmitt, Heinkel, et Fieseler, fabricant de V1, à droite et Von Braun assis sur le bureau) … Une fois le savoir-faire allemand absorbé, les russes relâcheront leurs savants, au contraire des USA qui les naturaliseront. L’un des modèles amélioré russe, le G4 (construit sous la direction de l’allemand Helmutt Gröttrup (2),
ici à droite, et servira de base à la conception de la R-7, la plus célèbre des fusées). Accouplés à plusieurs, les G4 deviendront booster d’une G5, qui deviendra R-7.
A tâtons, patiemment, les russes vont trouver la formule magique en une dizaine d’années, de la fin de la guerre au 3 mars 1957, date d’arrivée du premier modèle au complexe de tir de (future Baïkonour), étroitement surveillé par la CIA.
Notamment par les U2 à décollage de Wiesbaden Allemagne. De là, ou plutôt de Badaber, près de Peshawar, d’où décollait Gary Powers, dont le U2 avait été abattu par un missile le 1er mai 1960, après avoir photographié le site secret de lancement (ici à droite, on distingue très bien la levée de terre d’un côté et le fossé d’évacuation des flammes vers le nord). Par les U2 ou par les satellites Corona, bourrés de caméras lancés à la pelle par les USA, la récupération de leur module de photos était tout un sport, la capsule contenant les clichés (non transmis donc) étant parachutée et attrapée en vol par un avion C-119… ou un C-130. Une superbe vidéo nous en rappelle la délicate manœuvre (3)
Le 21 août, au troisième essai, la R7 devient la fusée du siècle, et le RD108 le moteur mythique de Glouchko devenant de fait la référence. Un très bon documentaire de la BBC « Space Race », visible ici en 4 parties, relate très bien ces premiers succès russes et leurs premiers échecs cuisants. L’engin, régulièrement amélioré, fera toutes les grandes « unes » des débuts spatiaux russes, à en exaspérer les USA, tant le modèle s’avère performant et capable très tôt d’emmener des lourdes charges. A en éclipser aussi les modèles Proton ou Zenit, voire la formidable Energya venue plus tard. Sous le nom de Soyouz III, avec à la base des moteurs uniques par booster, elle devait lancer le Klipper, le nouvel engin spatial russe de 14-18 tonnes, (c’était il y a 10 ans, il a été abandonné depuis), une mini-navette qu’ont « oublié » de fabriquer les américains. Le projet est apparu en 2005, il devrait être opérationnel en 2013.
Des projets similaires en taille
Les américains utiliseront un panel bien plus large de fusées, changeant de lanceur en même temps que de véhicule : Mercury avec Redstone et Atlas, tous deux missiles balistiques, Gemini avec Titan II (un autre missile intercontinental adapté), Apollo avec Saturn V, uniquement dédié à la conquête lunaire. Question fusées, les russes ont joué à l’économie, en choisissant un lanceur lourd dès le début, et en ne faisant que l’améliorer, les américains ayant multiplié les coûts de développement inutilement en faisant des modèles différents à chaque projet, lanceur et véhicule spatial. Il n’y a que sur le dernier modèle qu’ils se rejoignent : pour envoyer 1, 2 ou 3 hommes vers la lune il faut une fusée différente de celle pour satelliser 5 tonnes maxi autour de la terre. Tout le monde est d’accord : il faut un monstre. Cent mètres de haut pour satelliser cent tonnes (il faut inclure le dernier étage qui donne l’impulsion lunaire), le calcul est simple. Les deux fusées concurrentes feront les mêmes dimensions à quelques mètres près, et ce ne peut pas être un simple hasard.
La maîtrise des turbopompes, la clé du succès !
Et finalement, plus on avance dans le temps et plus on peut analyser avec recul le pourquoi de la réussite américaine et son pendant de l’échec russe. On pensait au départ que ce n’était qu’un problème de fusée : pas simplement. En réalité, le vainqueur de la course à la Lune, c’était écrit, est celui qui dominerait l’univers méconnu des turbo-pompes (ici à gauche celle de l’A4 – V1 – allemande).
Des engins tournant à des vitesses folles (jusqu’ a 30 000 tours/minute aujourd’hui, 15 471 t/m pour Saturn V), nécessitant des aciers ou des métaux hyper-résistants mais difficiles à forger tel le titane et capables de brasser des milliers de litres en quelques secondes de liquides déboulant à des températures immensément basses sous des pressions phénoménales (jusqu’à 400 bars chez Ariane, 250 bars chez la UR-700).
Et là, en effet, se tient le vainqueur : ce sont les turbo-pompes géantes des tuyères non moins géantes de Saturn V qui vont réussir à soulever l’équivalent de la Tour Eiffel pour satelliser le « train » d’éléments nécessaires à un voyage lunaire.
Les russes échoueront, et pas vraiment en raison de difficultés techniques, mais plutôt en raison des luttes toutes politiques au sein des savants russes, vraiment traumatisés par leur expérience du goulag. Glouchko, l’homme des moteurs de la Semyorka, s’est vu adjoindre Cholomeï, par le pouvoir central. Or les trois hommes, avec Korolev, ont des vues fort divergentes. Cholomeï préconise depuis toujours sa fusée UR-500 agrandie en UR-700 qui deviendra la fameuse Proton, mais Kroutchev tranche en faveur du projet de Korolev, avec le résultat que l’on connaît. Car les russes sauront faire de très bon moteurs, de taille inférieure, mais ne sauront pas les gérer correctement tous en même temps. Une fusée à 5 tuyères est déjà un casse-tête. Sur leur Semiyorka, il y en avait déjà…. 20, plus 12 petits verniers. Sur la N-1, ils vont en mettre 30. Gérables symétriquement deux par deux.
C’est trop pour leur électronique, leur point faible, on le sait. Cholomeï avait la meilleure option, mais ce n’est pas lui qui a été retenu.
Les américains, vont au final développer un gigantesque travail de plomberie, davantage que d’innover réellement et vont gagner face à des russes qui mettent en avant leur scientifisme : c’est le contraire de ce qu’on imaginait au départ avec les fusées russes à la rusticité caractéristique, en 1957. C’est l’industrie américaine de pointe qui l’emportera, pas le savoir-faire russe… Des russes minés par des choix politiques et non des choix scientifiques. Les couloirs de Moscou ont plus d’influence encore que ceux de Washington, où Von Braun avait si durement bataillé en 1957.
La mort tragique et assez ridicule de Korolev, charcuté par décision du pouvoir central, sonnera la fin de tous les espoirs soviétiques ; privée de son mentor, l’astronautique russe ne survivra pas à la honte d’avoir raté le sprint final (à gauche c’est le second étage de la N1 qui comporte encore huit moteurs !). Elle ne fera plus que copier, comme avec Bourane et son magnifique vol entièrement automatique du 15 novembre 1988… pour rien.
Sa concurrente américaine vole déjà depuis sept ans. Deux des trois engins construits ne seront jamais achevés faute d’argent, le seul ayant volé sera détruit lors de l’effondrement en mai 2002 de son hangar. Reste l’une des trois, près de Baïkonour, en piteux état… Son modèle atmosphérique, à réacteurs, à été sauvegardé au musée de Speyer.
Les mêmes carburants
Ce n’est pas non plus une affaire de carburant pour nos fusées gigantesques : les américains comme les russes vont en rester à leur bon vieux mélange oxygène liquide/kérosène pour les étages inférieurs (de l’oxygène liquide -LOX- et du kérosène -RP-1. C’est presque celui de la V2, le kérosène remplaçant l’éthanol !
La taille de l’engin n’explique pas tout, même si Saturn V fait 363 pieds de haut, soit 60 de plus que la Statue de la Liberté. « Une équipe dirigée par Wernher von Braun (ici à gauche devant les tuyères de la Saturn V) , de nationalité allemande, au Marshall Space Flight Center de la NASA à Huntsville, en Alaska, a proposé une conception en trois étapes de 363 pieds de hauteur, soit 60 pieds de plus que la Statue de la Liberté. Le vaisseau spatial était assis sur la rampe de lancement ». Le premier étage sera monstrueux, fournissant l’équivalent d’une chaîne de voitures pare-chocs contre pare-chocs entre N-York et Los Angeles, ou encore de quoi éclairer New-York pendant 75 minutes d’affilée.
« Lorsqu’elle était chargée de propergols, la fusée pesait 6,2 millions de livres. Elle comptait plus de 3 millions de pièces. À plein régime, ses cinq moteurs de premier étage produisaient une fulgurante poussée de 7,6 millions de livres au décollage. Au total, une Saturn V tournait plus de 85 Hoover Dams ou, si vous préférez, assez d’énergie pour éclairer New York pendant 75 minutes. » Par rapport à ce qui suivra, on peut donner un élément de comparaison : chaque moteur de Saturn V développe plus de poussée que les trois en queue de la navette spatiale défunte fonctionnant en même temps !
Les américains vont gagner avant tout grâce à ce moteur F1. Les cinq qui composent la base de leur monstre. Capables de délivrer 15 tonnes/seconde de mélange kérosène/oxygène liquide, car les pompes qui les surmontent délivrent l’équivalent de 30 locomotives diesels chacune. Le F1 a pour origine un projet non abouti d’American Rockwell pour son missile Navaho, avec son atelier de Santa Susana Field Laboratory, puis celui du E-1, fabriqué par RocketDyne, au départ le moteur de rechange de la fusée Titan (qui aurait dû lancer une mini-navette appelée Dyna Soar). C’est à partir de l’E-1 que RocketDyne a développé le F-1. Les essais sur des bancs gigantesques seront monstrueux : les tuyères (orientables) délivrent 200 décibels alentour et sont refroidies par la circulation d’oxygène liquide au travers de leurs parois.
Il faudra tester, tester et retester, à aller jusqu’à mettre des caméras à l’intérieur des réservoirs pour voir comment ils se vidaient. Et mettre forces croisillons et renforts pour éviter le ballottement du carburant (ici à gauche). En fait, le F1 est déjà une fin d’espèce, le dernier dinosaure issu de la famille des V2. Les américains, comme les russes, avaient fait confiance à des carburants faciles à manipuler (pour le kérosène s’entend) mais sans surprises au point de vue fonctionnement.
Au final, on ne gardera rien du F-1 (4), construit seulement dans un seul but : soulever cet énorme poids (celui de la Tour Eiffel !) et envoyer en altitude les autres étages, tous gérés par un mélange de carburant-comburant plus efficient : l’oxygène liquide, certes, mais mélangé à de l’hydrogène cette fois : c’est le rôle du moteur J2. Plus moderne, il connaîtra un plus long avenir : on vient de le choisir pour équiper le second étage de la future fusée lunaire US (il est ici à droite et ci-dessous en bout de 3 ième étage de Saturn V). »contrairement au moteur J-2, qui a propulsé les étages supérieurs du Saturn 5 et a été ressuscité pour être utilisé sur les étages supérieurs des Ares 1 et 5, le F-1 est depuis longtemps à la retraite « . Depuis 40 ans, on n’a pas réussi à faire mieux : c’est dire la prouesse technologique initiale (4) !
Pourra-t-on refaire un jour pareil engin pour une nouvelle course à la Lune ? On pourrait, même si les techniques actuelles des boosters solides sont devenues plus fiables et moins difficiles à préparer. Mais, on a failli ne jamais pouvoir la reconstruire : les plans de Saturn V ont été égarés, ce qui a fait naître une énième légende à propos de la fusée : « En 1996, John Lewis, dans son livre Mining The Sky, affirmait de façon surprenante que la NASA avait perdu les plans de Saturn. Comme toutes les rumeurs, l’histoire contenait un grain de vérité. Paul Shawcross du Bureau de l’inspecteur général de la NASA est venu à la rescousse Bien que l’affirmation selon laquelle les plans ne puissent pas être trouvés était vraie, cela ne voulait pas dire que le génie de la technologie de Saturne avait été perdu. Les plans de la plus grande fusée du monde existent toujours, sur de minuscules microfilms. « . Encore un des autres mystères de cette extraordinaire aventure !
Le casse-tête des 30 moteurs en même temps
En regard du succès de Saturn V, la N-1 russe sera donc elle un échec en raison de son premier étage, dont le nombre de tuyères, bien trop imposant (30 !) sera le problème principal : faute de savoir fabriquer les turbo-pompes géantes, les soviétiques avaient contourné le problème en en mettant plusieurs plus petites à la base de leur fusée géante. Hélas, leur informatique de bord n’était pas à la hauteur de l’enjeu : l’engin ne sera jamais stable, et les quatre tirs d’essai se solderont par une explosion avant la séparation du second étage.
Il arrivera bien à s’arracher de la surface terrestre, mais ne volera jamais droit. Les moteurs étaient très bons, mais à trente exemplaires les vibrations des uns sur les autres devenaient vite un vrai casse-tête (à se demander si une informatique plus performante aurait su mieux s’en sortir à voir l’embase démoniaque de l’engin !).
L’option choisie par Korolev était un échec prévisible, entretenu par une lutte de pouvoirs impitoyable à la tête de l’aéronautique soviétique. Lors du premier échec de vol de la N-1, le 3 juin 1969, ce fut une turbo-pompe, la N°8, qui en ingérant des débris explosa, déséquilibrant toute la fusée, incapable de se passer d’une seule tuyère ou d’en rétablir l’équilibre. Korolev, chéri du pouvoir, grisé par sa célèbre Semiyorka, avait engagé la conquête spatiale russe vers un échec cuisant, certain qu’il pourrait rééditer son exploit initial, et en ayant beaucoup œuvré en coulisses pour contrôler au sein même de son bureau son principal rival Cholomeï.
Le plan B des russes
Allié à Kuznetsov, Cholomeï avait proposé en effet son projet UR-700 comme fusée lunaire, dès 1964. Le premier jet dessiné était un cluster de huit corps de fusée équipés chacun d’une seule tuyère : tout l’inverse du projet N1 à un seul corps et 30 tuyères. L’engin fonctionne au N2O2, le peroxyde d’azote comme comburant et à l’UDMH, le fameux diméthylhydrazine comme carburant. Deux produits efficaces, mais hautement toxiques et corrosifs : en cas d’incident, cela tourne à la catastrophe et le site est à dépolluer entièrement. Le 20 octobre 1965, son projet est accepté par le ministère. Les moteurs RD 270, signés Glouchko, de l’engin sont de la veine de ceux de Saturn, et même supérieurs en poussée (ils développaient 640 tonnes de poussée chacun pour seulement 5 tonnes de poids !), mais constitueront son talon d’Achille : ils ne franchiront jamais la barre des tests. « Dans le même temps, le développement du moteur RD-270, élément essentiel de la fusée UR-700, a atteint un stade expérimental. D’octobre 1967 à juillet 1969, le collectif de Glushko a procédé à 27 essais de mise à feu à court terme de 22 versions expérimentales des moteurs RD-270. Trois moteurs ont démarré deux fois et un moteur a été testé trois fois. Dans neuf de ces tests, les moteurs ont fonctionné parfaitement. » En 1967, leur nombre est descendu à 6 seulement, c’est la configuration, déjà, de la Proton. L’échec du moteur de Glouchko condamne le projet fin 1967, les russes choisissant la N-1. Cholomei, prévoyant, avait développé entre temps des recherches sur un véhicule lunaire, le LK-1et son module de descente LK-3 (ci-dessous).
L’ensemble ressemble davantage au projet Apollo, avec un véhicule de retour conique, mais qui se pose sur la Lune pour en repartir en laissant l’embase sur place. Il n’y a pas de rendez-vous lunaire, dans ce cas, comme chez Korolev et Apollo. Comme pour la N1, l’échec russe de l’UR-700 est bien dû à la propulsion du premier étage : sur la N-1, les moteurs sont bons mais ne savent pas marcher ensemble, sur l’UR-700 ils sont tout simplement mauvais. Ironie du sort, c’est la fusée de Cholomeï, la R-500, devenue Proton, qui délivrera les engins automatiques qui aluniront… après les américains (5).
Les moteurs plus petits et redémarrables en vol de la N1, produits en masse, les NK-15 and NK-15B devenus NK-33 et NK-43, produits par un autre grand rival de Korolev, l’avionneur Kuznetsov, et sa Kuznetsov Joint Stock Company, située à Samara, ne furent pas perdus pour tout le monde.
Ils furent plus tard revendus… à des sociétés privées américaines, devenant des AJ26-58/59 et des AJ26-60 chez GenCorp Aerojet Compagny, Kelly Space and Technology,
Kistler et NASDA.
Quand aux vestiges des N1, ils furent reconvertis par les habitants du coin en kiosques à musique, en auvents, en garages pour Lada,
en d’autres garages encore (à vélos ?), en parasols, en clôtures, en maisons, (avec des modèles différents), en claustras, en manèges et en aires de jeux,
en châteaux d’eau, ou en abris…. Pitoyable fin pour ces quatre machines d’anthologie.
A noter que les moteurs Merlin produits par Space fonctionnent selon le cycle de combustion étagée inventé au départ sur les moteurs K-33 russes : le procédé a été inventé par Alexeï Issaïev en 1949 (6)!
(1) en dix ans ça a changé : c’st aujourd’hui le privé qui s’en charge avec le module de Musk (le Space X Dragon Crew pour amener des cosmonautes, pu la version Cargo déjà largement utilisée … un amarrage réussi avec trois années de retard ! (ici sa récupération). Une réussite tardive déjà mis en berne avec l’explosion de la capsule destinée aux cosmonautes le 20 avril 2019 lors d’un test de routine… un crash qui remet tout en cause !
(2) un touche-à-tout en physique: c’est aussi l’inventeur du principe de la carte à puces ! Himmler, paranoïaque comme son maître, l’avait arrêté avec Von Braun le 21 mars 1944 en l’accusant d’être un agent… soviétique !
(3) on ne saurait trop conseiller de revoir la scène hallucinante dans les film Ice Station Zebra de 1968 dans lequel un Patrick McGoohan en pleine forme résume en 2 minutes devant Rock Hudson tout l’industrie militaire volée aux allemands (« Made by our [British] German scientists and your film made by your [American] German scientists, into their satellite, made by their [Russian] German scientists ») en cherchant un microfilm dans des tiroirs, dans une station arctique perdue. Une très grand moment de cinéma !!!
(4) depuis, on en a retrouvé un des gigantesques moteurs de Saturn V (et même deux) : au fond de l’Atlantique, à l’initiative déclarée en 2012 de Zeff Bezos. L’engin sera retrouvé le 21 mars 2013 à 4200 mètres de profondeur et à 600 km des côtes de Floride. Si le bloc de pompes est resté intact, la tuyère n’a pas supporté semble-t-il la vie marine pendant 44 ans. Deux moteurs sur les 5 ont été remontés. Ils sont aujourd‘hui exposé au Seattle Museum of Flight :
(5) Selon le site Astronautix, le plan B pour la Lune consistait à faire s’entendre les deux anciens ennemis, Cholomei qui a perdu son meilleur supporter avec le départ du pouvoir de Kroutchev et Korolev : « Le 8 septembre 1965, Korolev a présenté plusieurs schémas d’utilisation de l’UR-500 de Chelomei pour aller autour de la Lune. L’un des engins de remplacement était un vaisseau spatial en deux parties, utilisant le Proton avec le bloc supérieur de l’étage supérieur du projet lunaire N1-L3 de Korolev. Cela permettrait de lancer la navette spatiale 7K-L1 de Korolev (issue du Soyouz 7K-OK) sur une trajectoire translunaire. Ce projet a reçu le nom UR-500K-L1 et a été adopté à la place du projet circumlunaire de Chelomei (LK-1). Elle a nécessité la construction de 18 fusées UR-500K qui, dans le cadre d’un programme d’essais en vol mis en place par le gouvernement, enverraient la sonde L1 autour de la lune, d’abord sans équipage, puis pilotées (…) La première fusée de vol (numéro de série 22701) a été assemblée le 21 novembre 1966 et l’assemblage mécanique a été achevé le 29 novembre. Les raccordements électriques et les essais étaient terminés le 4 décembre 1966. Après le nouvel an,le travail n’a repris que le 28 janvier 1967. Le 28 février, le groupe de surpression / satellite entièrement assemblé était achevé au MIK, y compris le satellite 7K-L1P. La tour de lancement a été ajoutée le 2 mars 1967 et le système a été déclaré prêt à être lancé. Bien que le premier lancement de l’UR-500K-L1 le 10 mars ait été couronné de succès, le bilan pour le reste du projet circumlunaire habité est lamentable.
Sur les 11 lancements restants du projet, seul le succès de Zond-7 a été reconnu. Dans 60% des cas, la faute était due au lanceur. dans 20% le bloc D; et dans 20% le vaisseau spatial lui-même. Par conséquent, la probabilité de mener à bien l’objectif du projet – piloter un cosmonaute en toute sécurité autour de la lune et le ramener sur terre – n’était que de 9%. De manière remarquable, en raison d’échecs persistants, le 8K82K n’a pas achevé ses essais d’état avant son 61e lancement (Salyut 6 / numéro de série 29501/29 septembre 1977). Il a ensuite atteint un niveau de fiabilité de lancement comparable à celui des autres lanceurs mondiaux ».
(6) Les russes fournissent toujours les américains d’ United Launch Alliance en moteurs RD-180 destinés au lanceur Atlas V (et au moins jusqu’en 2025 !).
Le document indispensable à consulter :
https://www.lpi.usra.edu/publications/books/sovietReach/index.pdf
Autre ouvrage dégoté sur les inévitables braderies nordistes : un opuscule de propagande soviétique non daté (mais d’après 1969) : on y voit Frank Borman « avec ses confrères soviétiques » (lors d’une visite en URSS de février 1970 en fait) et le dernier vol cité est celui de Soyouz 8 (du 13 octobre 1969). Dans le magazine, pas un mot sur l’homme sur la Lune et pas un non plus sur la tentative N1 !!! On relèvera aussi au passage le titre… qui évite l’écueil du mot « conquête spatiale »… En revanche on peut y voir un cliché attribué à Zond 7 (sonde automatique qui a volé le 7 août 1969) qui préfigure celle que prendra Bill Anders, collègue de Borman 5 mois plus tard avec Apollo 8 et qui est resté bien plus célèbre :
Un texte paru le 10 juillet dernier dans le Canard Enchaîné résume parfaitement l’ambiance des débuts de la course à l’Espace :
« Comme le » veni, vidi, vici » déclamé par César en 47 avant Jésus-Christ, le monde entier garde en mémoire la phrase à peine audible « C’est un petit pas pour l’homme mais un bond de néant pour l’humanité « , soufflée par Neil Armstrong le 20 juillet 1969 à 21 h 56. jour et heure de Houston. Pour la première foi ce )our-lA. un homme mettait le pied sur la Lune, laissant une trace de semelle striée dans une sorte de poussière grise. Après dix ans d’une âpre bataille, dans laquelle la politique et la propagande iraient presque emporté sur la prouesse technologique. l’Amérique était venue, avait vu et avait vaincu l’Union soviétique par KO debout.
Le drapeau rouge avait pourtant fièrement flotté sur les débuts de la conquête spatiale. Le 4 octobre 1967. Moscou envoie un ballon de ferraille en orbite terrestre, premier satellite artificiel A voler dans l’espace. Spoutnik émet un étrange bip. « On ignore encore ta signification de ce signal, mais nos experts militaires n’ont pas décelé de message codé». rassure la presse américaine.
“Kaputnlk !”
« On est en guerre ! » balance le sénateur de l’Etat de Washington. Pour lui comme pour son opinion publique, impossible de laisser les communistes seuls maîtres du cosmos. La bannière étoilée se doit de réagir. « Ne nous leurrons pas. ajoute le sénateur. c’est peut-être la dernière chance de donner au monde occidental les moyens d’échapper à l’anéantissement. » Nikita Khrouchtchev, lui. ne s’était pas vraiment intéressé au lancement du satellite, mais la réaction des « capitalistes » lui fait comprendre le bénéfice que L’URSS pourrait tirer de .cet exploit. Il exulte. « Nous sommes tes premiers ! » Et. avec lui. les prolétaires massés sur les trottoirs, qui observent fièrement un ciel passé au rouge.
L’Amérique est blessée. Le bip lancinant devient la petite musique de sa défaite. Alors elle se remet au travail. A l’heure de la guerre froide, tandis que les écoliers américains se cachent sous les tables lors d’exercices prévenant des dangers d’une guerre nucléaire, le gouvernement sait que la fusée qui a largué Spoutnik peut aussi bien lancer une bombe atomique sur l’Alabama.
Après le ballon russe, la chienne. Le monde se passionne pour Laika. premier être envoyé en orbite et revenu vivant sur terre. « Les communistes se sont implantés dans l’espace » , tonne le sénateur Lyndon B. Johnson. On va voir ce qu’on va voir ! La réponse yankee est le satellite Vanguard- 1 A, lancé du cap Canaveral le 6 décembre 1957. Et qui explose A l’allumage, sur son pas de tir. « Flopnik ! » « Kapputnik !.. »La presse américaine se déchaîne tandis que l’Amérique abat sa carte maîtresse. Il s’appelle Wernher von Braun. Ancien membre du parti nazi, expert en aéronautique, il est l’architecte des V2 les fusées de « représailles » voulues par Hitler en 1944. alors que le Reich n’était plus que décombres. Après la guerre, von Braun est recruté par la Nasa avec 120 scientifiques allemands. « Offrir le V2 à un pays qui obéit aux lois du christianisme est une décision morale » , expliquera-t-il. Devenu citoyen américain, il élabore le programme Mercury. Tandis qu’A Moscou d’anciens scientifiques nazis ont été mis a disposition de « l’avenir radieux ». Avant d’étre expulsés d’URSS en 1965.
Le 31 janvier 1961. éclatante victoire des Etats-Unis, l’Oncle Sam envoie Ham dans l’espace pendant dix minutes, Ham. un chimpanzé camerounais de 5 ans. Deux mois et demi plus tard. A peine le temps de fêter le primate sur la 5’ Avenue, les Soviétiques placent Vostok 1 en révolution autour de la Terre, avec un homme à son bord. Une folie. Youri Gagarine le sait, il l’écrira même à sa femme, ses chances de réussite sont de 50%. le Parti a pris le risque. Son soldat rouge devient une légende Pendant ce temps, von Braun travaille en secret au programme Apollo. Après avoir écrasé ses V2 sur Londres, il s’apprête à envoyer un homme sur la Lune. »
Sorj Chalandon ». En référence, l’auteur cite le documentaire de Robert Stone, « La conquête de la Lune » sur Arte (16, 17 et 18 juillet).
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