L’épave de Berbera nous a en effet intrigué. Son analyse va nous mener à un autre pays dont nous allons beaucoup parler dans les épisodes à venir: un pays lié à une histoire incroyable en 2001, celle du transfert d’armes à capacité nucléaire, des missiles russes fort particuliers, devenus la bête noire du Pentagone pendant plusieurs années. Des missiles revendus par des généraux véreux désireux de se faire de l’argent avant tout, en dehors de toute considération politique. L’histoire avait été révélée officiellement par le magazine Jane’s, très reconnu et qui fait autorité dans le domaine de l’armement. On a ainsi disséminé en 2005 des armes nucléaires par simple goût du lucre (1) !!! Ce pays c’était l’Ukraine, qui est en effet se retrouve au centre de toute cette longue enquête comme vous allez vous en rendre compte bientôt. Aujourd’hui, elle va même nous faire passer par Strasbourg…














Et quand je dis fini, c’est fini : il s’est écrasé à moins de 30km de Kaboul, le 11 novembre 2005, tuant ses 8 occupants. Il était alors » affrété pour transporter des équipements de communication pour les forces de la coalition de Bahreïn à Kaboul et aux États-Unis, sur la base aérienne militaire à Bagram. Dans sa descente, l’avion avait heurté une montagne à 2120 m d’altitude, à 28,6 km de Kaboul ».

La mort de Malev n’était pas liée aux radars, mais à une autre affaire. En 2001, éclate une affaire d’espionnage assez croquignolesque. C’est Peter Dale Scott qui s’en est fait le héraut dans « American War Machine: Deep Politics, the CIA Global Drug Connection, and the Road To Afghanistan ». L’un de ses derniers livres, l’Etat Profond Américain, reprend à la lettre l’excellent ouvrage de David Wise et Thomas B. Ross « « The Invisible Government ». La théorie, imaginée brillamment dans les années 60 par ses deux auteurs, tient toujours en effet, selon moi. D’après plusieurs des informateurs de Dale Scott, des missiles nucléaires russes de 200 kilotonnes capables d’une portée de 3000 km seraient passés discrètement chez les chinois et les iraniens, et pas officiellement, plutôt sous forme de contrebande, le côté argent ayant primé chez les passeurs à la place d’un quelconque sentiment patriotique. En fait un document russe de 1995 avait déjà laissé entendre qu’une usine de production complète de missile plus ancien Kh-15, d’à peine 300 km de portée, était prévue et devait être construite à Shanghai, mais très vite des observateurs avaient pensé que le missile russe passé en Chine aurait déjà pu être un missile plus évolué tel que le Kh-55, très proche du missile américain BGM-109 Tomahawk.
Le 18 mars 2005, Jane’s Intelligence Digest, à la surprise générale, parle plutôt lui d’une « vente » et met en cause des responsables ukrainiens, en faisant remarquer « qu’il ne fait aucun doute que « la vente des missiles à l’Iran et à la Chine n’a pu avoir lieu qu’avec la connaissance et la coopération de hauts responsables et fonctionnaires ukrainiens » et « qu’il y a des preuves croissantes suggérant que la vente de missiles à l’Iran a été entreprise avec l’aide des services de sécurité russes ». C’est alors que Gregory Omelchenko, ancien colonel du renseignement auprès du président ukrainien Viktor Iouchtchenko, donne des détails supplémentaires inattendus sur ce prétendu marché d’armes fort particulières, celle d’une douzaine de missiles Kh-55 (il y aurait eu 18 paraît-il) qui auraient ainsi été transmis sous le manteau par un groupe obscur de membres des services secrets russes et ukrainiens et des officiers militaires dans le dos de leur hiérarchie, ce qui semble incroyable en effet, et ce, comme on l’a dit, uniquement pour l’appât du gain. Dans des lettres très précises, il y affirmait par exemple que Sarfraz Haider, 53 ans, alias « Sarfzaz, »était soupçonné de faire partie de ce trafic d’armes d’un genre très dangereux. Le propre fils de Haider avait été lui-même contacté par Ruslan Saidov, qui prétendait être un ami et un associé de « « Sarfraz ».
Ce dernier, sous le nom de code de « Dex », aurait vendu des centaines de milliers de dollars d’armes diverses. Saidov aurait tout raconté au fils de Sarfraz (qui était australien mais d’origine Afghane-Iranienne). Pour les missiles volés, c’est sa compagnie maritime SH Heritage Holdings, société chypriote, qui les auraient transférés de la Mer Noire à Chypre (la séquence rappelle de beaucoup celle d’un cargo qui devait contenir autre chose et qui a longtemps erré en mer, l’Artic Sea, en 2009). Toute l’histoire est dans le livre Third Barbarossa d’Anton Baumagarten et dans les textes de Vadim Stolz (VS), président du Comité Editorial International de burtsev.ru – groupe de journalistes d’investigation affilié à l’hebdomadaire internet LEFT RUSSIA (www.left.ru). Le 18 mars 2005, NBCnews révélait l’affaire, citant un procureur américain chargé de l’affaire : « des trafiquants d’armes ukrainiens ont passé en fraude 18 missiles de croisière à capacité nucléaire en Iran et en Chine sous le gouvernement de l’ancien Président Leonid Koutchma, ont annoncé vendredi les procureurs. Les engins ont un rayon pour atteindre les États-Unis. Un responsable senior a déclaré à NBC News que selon les services de renseignement des États-Unis, l’Ukraine a vendu des missiles de croisière à longue distance à l’Iran et à la Chine au cours des quatre dernières années, comme l’a rapporté le procureur général ukrainien. « Le contenu de ce rapport est exact. Nous pourrions peut-être discuter avec ce chiffre, mais nous ne vous écarterions pas de cette évaluation … ni des destinations », a déclaré le responsable.
Les missiles de croisière Kh55 ont été passés clandestinement en Ukraine il y a quatre ans, a annoncé le Bureau du Procureur général dans un communiqué vendredi. Les procureurs ont déclaré que les missiles, d’une portée de 1 860 kilomètres, avaient été vendus illégalement et n’étaient pas exportés par les entreprises ukrainiennes. Cependant, selon le responsable, les services de renseignement des États-Unis estiment que les autorités ukrainiennes, opérant au plus haut niveau, ont facilité la vente de dizaines de missiles de croisière AS-15, dont six à la Chine et à l’Iran. L’AS-15 est un missile de croisière à grande vitesse d’une portée de 3 000 kilomètres. Ils sont lancés à l’air, ce qui signifie qu’ils peuvent être tirés d’avions ».
Drôle de Far-West !
L’intermédiaire avait été la société Far West (3) qui avait arrosé pour les obtenir 3 millions de dollars en pots-de-vin à l’agence publique ukrainienne Ukrspetseksport. La firme en avait fabriqué 1612 exemplaires avant la chute de l’URSS, et il lui en restait 575 qu’elle aurait dû remettre à la Russie, les autres devant être détruits selon un programme de désarmement financé par les États-Unis. Les missiles devaient en fait être détruits, selon les accords SALT, et ils ne l’avaient pas été mais… volés ! « Selon la lettre d’Omelchenko, en 2000, le ressortissant russe Oleg Orlov et un partenaire ukrainien identifié comme E.V. Shilenko « ont exporté 20 missiles de croisière Kh-55 à travers un faux contrat et un certificat d’utilisateur final » avec un marchand d’armes russe et avec une société appelée Progress, une filiale de Ukrspetseksport, une agence d’exportation ukrainienne ». Une enquête ultérieure du gouvernement ukrainien (en 2005) aurait bien confirmé que des missiles avaient effectivement été vendus illégalement, mais elle avait nié que des fonctionnaires aient été impliqués. A droite c’est la variante Raduga Kh-55SM « Kent », munie de réservoirs supplémentaires sur les côtés. En outre, l’enquête avait prétendu que les missiles étaient effectivement inopérables, car ils étaient âgés de plus de dix ans après la fin de leur durée de vie et n’étaient pas du tout en état de fonctionnement. Selon lui, deux autres co-fondateurs de Far West Ltd (1), Anton Surikov et Alexei Likhvintsev, auraient même rencontré des représentants de l’administration Bush à propos de l’opération.
Le responsable de Far West Ltd n’était autre que le prince saoudien Rasheed ar Rasheed, des services secrets et un proche du Prince Turki al-Faisal (un proche de G.W.Bush, ici en photo lors du conférence sur la sécurité à Munich, avec John McCain). Selon les russes, avec cette rencontre, c’était bien l’aveu que la contrebande de Kh-55 avait été initiée par les néoconservateurs américains, dont Cheney et Rumsfeld, afin de créer un casus belli contre l’Iran. On peut penser à une désinformation, ou à une théorie complotiste, mais quatre hommes étaient morts bien étrangement après le vol prétendu : l’ancien directeur du cabinet d’experts Far West Ltd Mikhail Vunsh a explosé dans sa voiture en Afrique du Sud avec son chauffeur, Valery Malev, le directeur d’Ukrspetseksportest est mort en s’endormant au volant sur une route de Poltava.
Haider s’est tué en quad en heurtant un mur à basse vitesse à Chypre en janvier 2004. Le quatrième, Oleg Orlov, arrêté en Tchéquie avait été extradé en Ukraine en 2005 mais on l’avait retrouvé la gorge tranchée dans sa cellule (c’est rappelé ici) : or c’était aussi un associé de Viktor Bout ! Un cinquième larron, Vladimir Filin, ex-général né Litovchenko aurait échappé aux meurtres en se rendant introuvable. A noter que Borys Marusych, le directeur d’Ukrinmash, lui aussi impliqué dans le trafic d’armes, avait été tué en 2000 dans un accident de circulation…. Selon le chercheur Joël van der Reijden, la liste des personnes tuées liées plus ou moins à Far West est bien plus longue (on notera le nom d’Alexander Lebed, qui a été candidat à l’élection présidentielle en Russie et qui s’était refusé à suivre les putschistes de 1991 : lui aussi avait parlé de fuites d’éléments nucléaires dans le pays).
- Sangak Safarov – March 1993 – shot by Faizullah Saidov during an argument
- Faizullah Saidov – March 1993 – shot by Sangak Safarov during an argument
- Abdulamon Ayombekov aka « Lyosha the Hunchback » – 1994 – Blown up
- Ruslan Labazanov – 1996 – Shot by his guard
- Usman Imaev – 1996 – Disappeared
- Valery Malev – March 2002 – Car accident
- Alexander Lebed Apr. 28, 2002 – Helicopter crash
- Mikhail Vunsh – Dec. 2, 2002 – Car bomb
- Sarfraz Haider – Jan. 2004 – Hit wall on quad bike (slit aorta)
- Sergei Petrov – Jan. 24, 2004 – Car bomb
- Roman Tsepov – Sep. 24, 2004 – Radioactive poisoning
Paul Klebnikov – July 9, 2004 – Drive-by shooting (van der Reijden gives his birthdate)
- Armen Sargsyan – Jul. 27, 2005 – Drowned while drunk
- Andrei Kozlov – Sep. 14, 2006 – Shot to death
- Oleg Orlov – Jun. 2007 – Strangled in prison
- Anton Surikov – Nov. 2009 – Unknown
A noter aussi qu’il aura fallu 2015 pour que l’Iran révèle une copie présentable du KH-55, appelée « Soumar » (ici à droite). Il avait été annoncé en 2012 sous le nom de Meshkat. Une copie parfaite… réalisée donc en 14 ans : les missiles d’origine étaient dépourvus de tête nucléaire, et le plus difficile dans le domaine est la miniaturisation de la charge.
(4). A noter aussi qu’ici on cite également Lebed « présidentiable russe » en rappelant une de ses casquettes gênantes : « les responsables d’Air Bas ont nié toute connexion avec Bout, mais Les responsables du Royaume-Uni et des États-Unis ont déclaré que l’entreprise avait des liens avec l’entrepreneur. Victor Lebedev, directeur général d’Air Bas, a été identifié par les les fonctionnaires des États-Unis comme un opérateur de Bout. Il a confirmé dans une interview que l’avion de son entreprise s’était rendu à Balad quatre fois en octobre, transportant des fournitures pour KBR, la filiale d’Halliburton ». A gauche le 3C-KKJ d’Air Bas photographié à Sharjah.








L’avion était l’Antonov 12BK, immatriculé 4L-ELE, (N°5342802, ici à droite, à l’origine armée russe CCCP-11905). Il appartenait à Varty Pacific Inc., une étrange société enregistrée dans les Iles Vierges, alors que son bureau était installé à Sharjah (on la retrouve logiquement dans les Offshore Leaks, qui cite à sa tête Roman Gilmanov, aussi responsable de Global Service Solution installée aussi à Sharjah, appartenant à Radhakrishnan Gunasekaran, qui est associé à Delta World Charter… et qui dirige aussi une société de voitures de luxe à Dubaï! !) Apparaît aussi Stream Aviation Ltd, qui comme son nom ne l’indique pas est une société… française mais qui œuvre alors sur le marché de l’aviation civile en Ouganda. Elle possède à ce moment-là un bureau à l’aéroport d’Entebbe et un contrat en cours pour le transport de marchandises pour l’UPDF : c’est elle en réalité qui loue l’avion à Varty Pacific Inc, son propriétaire. On la retrouvera avec son responsable Haroun Eisa Sami à réclamer 2 870 000 de livres au gouvernement ougandais pour avoir effectué des vols pour le ministère de la défense (chaque vol étant facturé 75 000 livres). Les vols avaient été ceux de l’Operation Lightning Thunder, l’opération tentant de capturer Joseph Kony. Or la plainte provient d’Anatolii Levin, notre fameux responsable de Styron Trading Inc, inscrit dans les Emirats Arabes Unis !!! Selon lui, le 4L-ELE était alors en train de recevoir des moteurs d’aviation qui avaient été volés sur son avion immatriculé S9-DBQ (et donc enregistré dans la République démocratique du Sau Tome) qui était alors bloqué sur l’aérodrome de Berbera en Somalie, après la casse de son train comme on a pu le voir. Il sera débouté de ses espoirs de compensations financières, au final.
(1) à nous y faire beaucoup repenser lors de l’affaire de l’Artic Sea…
(2) nous reviendrons dans quelques semaines à cet endroit avec l’étude de documents très instructifs du Conseil de Sécurité de l’ONU…
(4) cette histoire de missile volé, ça a recommencé en …. Ukraine, cette fois encore, avec des… iraniens et un découverte fin mars 2018 dans le coffre d’une voiture… selon un site israélien plutôt sarcastique en commentaire :
« les «activités pacifiques» iraniennes se déroulent également en Ukraine. Les services de sécurité ukrainiens (SBU) ont réussi à mettre en œuvre les deux principaux produits iraniens qui se référaient à un nouveau missile de type KH-31 de fabrication russe, d’autres composants en Ukraine ainsi que des documents techniques.
Les objets ont été découverts dans le véhicule des deux citoyens iraniens, après une filature qui a duré plusieurs mois. L’un des deux Iraniens en question, Abdi Biyan, était autrefois un ancien attaché militaire de l’Iran à Kiev! L’information a été transmise par Vasyl Hrytsak, directeur des Renseignements intérieurs ukrainiens aux responsables américains lors d’une visite récente à Washington.
Le missile KH-31 (en russe X-31) est un missile de croisière air-sol et anti-navires. Il est capable d’atteindre une vitesse de 3,5 et plus et est le premier missile supersonique au monde.
Si cette partie de missile avait pu être acheminée jusqu’en Iran pour y être étudiée et reproduire, cela aurait pu augmenter significativement les capacités de ce pays pour renforcer son emprise dans le golfe persique, lieu d’un intense trafic fluvial où l’Iran fait également face à l’Arabie saoudite et aux émirats ». Au départ c’est le Daily Beast qui a révélé l’affaire. Selon la presse US, les deux hommes auraient été des diplomates iraniens. L’un des deux (visible ici à droite) serait Abdi Biyan, l’attaché militaire à l’ambassade d’Iran à Kiev.
sur les KH-55 on peut s’informer ici
http://www.ausairpower.net/APA-Rus-Cruise-Missiles.html
Le texte sur le litige amené devant la juridiction de Strasbourg :
Le 23 novembre 2013, la Cour européenne des droits de l’homme a publié sa décision sur l’affaire « East / West Alliance Limited Ukraine » sur son site web officiel. Le texte a été repris ici : « La société, la requérante, une société irlandaise ayant un bureau de représentation en Ukraine, ainsi que d’autres sociétés du secteur de l’aviation, faisait partie du consortium Titan. En 1999, la société a acquis des appareils An-28 d’occasion. Par la suite, des aéronefs ont été loués à l’une des sociétés du consortium aéronautique pour une période de 10 ans. La propriété de ces objets en vertu du contrat de location passé au locataire si celui-ci remplit toutes les conditions du contrat et effectuera tous les paiements dans les délais fixés dans le contrat. En 2001, le locataire avait des retards de paiement dans le contrat, le contrat a été résilié et une partie de l’aéronef a été vendue par le propriétaire. En août 2001, la société requérante a signé un contrat de location pour le dernier aéronef lui appartenant avec une autre société, mais le contrat de location n’est jamais entré en vigueur. Au cours de cette période, une affaire pénale a été ouverte pour non-paiement d’impôts. Dans l’affaire pénale du bureau du consortium, dans les locaux de la société requérante, notamment, bien que cette société n’ait pas comparu dans l’affaire, ils ont fouillé et saisi les originaux des contrats, ce qui confirmait la propriété de l’aéronef. Le dossier ne contenait aucun dossier confirmant le retrait de ces contrats. Dans la suite, un autre corpus delicti a été ajouté à l’enquête: la falsification des documents. L’enquête a été menée – l’inspection du lieu de l’incident – le lieu où l’avion de la société requérante a été gardé. Les avions ont été inspectés, selon le protocole: le propriétaire n’est pas installé, les gardes n’étant pas en mesure de fournir des documents aux forces de l’ordre. Plus tard, l’avion a été reconnu comme preuve matérielle. Une partie des avions a ensuite été déclarée propriété banalisée et vendue à des tiers, alors même que le procès n’était pas achevé et que l’arrestation n’était appliquée que par mesure de sécurité. La Cour européenne des droits de l’homme a constaté une violation de l’article 1 du Premier protocole à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (droit de posséder pacifiquement leurs biens). La Cour européenne, en particulier, a indiqué que même la saisie de documents appartenant au requérant avait déjà porté atteinte à son droit de possession pacifique de ses biens. La Cour de justice des Communautés européennes a également conclu à la violation de l’article 13 de la Convention (droit à un recours effectif).
Le journal citoyen est une tribune. Les opinions qu’on y retrouve sont propres à leurs auteurs.
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