La découverte est sidérante. On savait que les ventes de cigarettes avaient subi un choc déterminant lors de l’avènement des campagnes anti-tabac liées à la lutte contre le cancer, il y a quelques années de cela. On se doutait que les firmes productrices n’étaient pas non plus restées indifférentes à la baisse inéluctable de leurs ventes. Et effectivement : elles avaient réagi. Mais d’une façon absolument hallucinante : en alimentant elles-mêmes la contrebande (en gagnant certes moins, mais en ne perdant pas tout !) (1) !!! Et on le découvre aujourd’hui à nouveau, dans un endroit hypersensible géo-stratégiquement. Pour faire un raccourci saisissant, et pour montrer leur totale irresponsabilité, nous pouvons dire qu’aujourd’hui, si des soldats français meurent au Sahel, c’est aussi dû en partie à… Philip Morris. C’est en tout cas la conclusion affligeante à laquelle on arrive en épluchant le tout récent rapport de l’OCCRP, lisible ici.
Bien entendu, ce trafic ne s’est pas limité au tabac : il s’est greffé dans le circuit la cocaïne, comme je vous le raconte depuis dix ans maintenant, ce qui gangrène tout le Sahel, plus le trafic d’armes, bien sûr, en même temps. Tout cela va nous entraîner aussi en Europe et, lors de ce premier volet de notre dossier, nous allons même croiser (demain) de vieux coucous assez inattendus : des Antonov 2, d’une autre époque mais terriblement efficaces dans leur nouveau rôle de transporteurs de cigarettes !
Cette fois, ça démarre le 12 avril dernier en France, et non au Burkina Faso, avec une annonce tonitruante, celle de l’arrestation d’un gang responsable de l’importation de 75 tonnes de cigarettes, nous indique ici Capital, une info en provenance de gendarmes nantais. « Démantèlement d’un réseau de trafic de cigarettes dans l’ouest de la France. Alors que le réseau est suspecté d’avoir importé 75 tonnes de cigarettes en contrebande, 4 personnes ont été mises en examen et incarcérées dimanche, rapporte la gendarmerie. L’enquête, débutée fin 2020 sous la conduite de la JIRS (Juridiction interrégionale spécialisée) de Bordeaux, porte sur « un trafic de cigarettes de grande ampleur orchestré par une équipe de malfaiteurs agissant sur une grande partie Ouest du territoire national », selon un communiqué de presse de la gendarmerie des Pays de la Loire. Les investigations, notamment menées par les enquêteurs de la section de recherches de la gendarmerie de Nantes, ont permis de déterminer qu’il s’agissait « d’individus d’Europe de l’Est », « particulièrement mobiles » et utilisant « des box qu’ils louent dans plusieurs grandes villes du territoire national (Nantes, Bordeaux, Montpellier, Béziers) afin de ravitailler des grossistes locaux ». « Sept individus impliqués dans cette structure criminelle » ont été interpellés vendredi matin à Nantes, Rodez et Montpellier, selon le communiqué. Quatre ont été mis en examen et placés en détention provisoire. » 75 tonnes, imaginez le lot : un paquet de 40 cigarettes pèse en moyenne… 32 grammes. Et oui, cela dépasse les deux millions de paquets !!
Les chemins pris par les contrebandiers défient parfois l’entendement : « les douaniers ont saisi près de dix tonnes de cigarettes de contrebande lundi à Dunkerque lors du contrôle d’un conteneur déchargé d’un navire transportant officiellement des articles de cuisine en plastique, en provenance de Dakar, a annoncé mardi le ministère de l’Action et des Comptes publics. Près de 50.000 cartouches de cigarettes, sans « justificatif » régularisant leur importation,
ont été découvertes par la brigade des douanes de Dunkerque, sur la base de renseignements obtenus en lien avec leurs homologues étrangers, a précisé Bercy dans un communiqué « , avait-on pu lire le 24 juillet 2018 dans France-Info… Passer par le Sénégal pour arriver en France donne une petite idée du nouveau organisationnel poussé auquel sont arrivés ces contrebandiers de cigarettes. L’enjeu, il est vrai, est énorme : 7,2 milliards de cigarettes illicites ont été consommées en 2019 en France apprend-t-on ici (en montrant les vendeurs à la sauvette devant la Gare du Nord, à Paris, en photo ici à gauche). La bagatelle de 18 millions de paquets de cigarettes ont été saisis par la douane française en 2019, un record.
Nos gabelous n’ont pas chômé, en effet. En 2019, les douanes françaises ont en effet saisi… 360,3 tonnes de tabac et cigarettes de contrebande… Avec cette année-là comme exemple phare… Calais, et la saisie le 26 février 2019 de 9,6 tonnes de cigarettes découvertes dans un camion immatriculé en Pologne, et 4 tonnes de plus en décembre, d’un autre venant de Belgique ! En mars 2021, dans un camion slovène, 2,4 tonnes de tabac ont été découvertes dissimulées derrière des jacuzzis en provenance d’Italie. Les paquets affichaient des vignettes fiscales luxembourgeoises! Deux jours plus tard, un camion irlandais était pris avec 30 palettes à son bord: cela faisait 8 tonnes d’un coup ! Le trafic naît de la disparité des trafics, on le sait : en Europe, on comprend vite le problème, celui de la taxation fort différente qui traîne toute une partie du commerce des pays de l’Europe de l’Est vers… l’Angleterre, où les prix sont les plus élevés, par exemple, comme le montre ce schéma datant de 2017 déjà :
Avec ces tarifs, par exemple, en 2021 le prix d’un paquet de cigarettes Marlboro roumain est de 4,09 €. « Ce tarif étant une moyenne, il peut dégringoler jusqu’à 3,79 € et croître jusqu’à 4,5 € selon les périodes de l’année. Ce tarif pour un paquet de cigarettes (Marlboro) est plus bas que le tarif constaté en moyenne en France de 59%. » peut-on lire ici. Et encore, ça a augmenté : en janvier 2019 il n’était encore qu’à 3,48 €… d’où le trafic, difficile à juguler : « le 21 avril dernier (2020), à l’occasion de la Journée nationale de la lutte contre le trafic illicite de marchandises, les autorités roumaines dressaient un premier bilan des actions des services de police et de la direction générale des Douanes contre la contrebande de cigarettes depuis le début de l’état d’urgence (le 16 mars). Les agents de l’État avaient alors déjà saisi plus de 10 millions de cigarettes de contrebande. Si ces prises étaient le gage de l’efficacité de ces services, elles montraient également l’importance de ce trafic dans le pays. L’activité illicite est très lucrative : chaque conteneur de cigarettes illégales représente près d’un million d’euros de bénéfices pour les réseaux de contrebande. Pour rappel, Bucarest avait ainsi perdu près de 600 M€ (droits d’accise et taxes) en raison de la contrebande de cigarettes au cours de l’année 2019″… Ok, se dit-on, pour les firmes de tabac, comme pour les Etats, et le revenu des taxes, c’est bien bien une perte, c’est sûr… mais ce n’est pas si simple que cela, comme on va le voir dans ce qui va suivre. Ci-contre à droite, un extrait du reportage de France 2 d’avril 2021 montrant la localisation de la production clandestine de cigarettes, où l’on remarque surtout la Pologne et la Grèce, pays que nous allons bien sûr étudier ici dans ce dossier.
Point de départ historique, la Roumanie
Avant de rejoindre le Sahel, il nous faut donc partir impérativement en Roumanie, si vous le voulez bien, puisque ça semble aussi venir historiquement en tout cas de là… Puis, vous allez voir, en Ukraine également. Nous allons aussi découvrir que les avions ont aussi joué un rôle important dans ce trafic, historiquement… Car cela dure depuis 30 ans au moins, cette histoire.
Revenons en effet d’abord une quinzaine d’années en arrière, en Europe, et retrouvons un vieil habité de cette saga du trafic d’armes, nommé Constantin Vasilescu. Arrêté à l’âge de 37 ans et emprisonné trois mois, il venait de perdre son poste de commandant adjoint de l’aéroport international d’Otopeni : il avait eu le tort d’y avoir découvert des passages de gros porteurs qui lui semblaient bizarres, dont un surtout, un An-12, qui appartenait à Viktor Bout, opérant sous le nom d’Air Sofia, et qui avait été chargé fort discrètement devant lui en pleine nuit à l’aéroport de Bucarest-Otopeni. Si les engins vus précédemment au même endroit s’adonnaient au trafic de cigarettes, ce dont Vasilescu se doutait depuis des lustres, celui-là livrait bel et bien des armes. Vasilescu n’aurait jamais dû voir cet avion passer… Il y avait en effet perdu son emploi, en dénonçant ce qu’il avait vu. Ici à gauche le LZ-SFR d’Air Sofia en train de décoller de Maastricht-Aachen en 2005. Et là l’UR-11765, ex LZ-SFM ayant plié son train à Kiev le 5 septembre 2004. L’avion sera scrappé. Du trafic de cigarettes au trafic d’armes, il n’y avait qu’une feuille de cigarette de différence pouvait-on dire, car il s’agissait bien des mêmes avions pour les deux usages… les deux aux mains de militaires roumains vénaux. Des Iliouchine 18 « Combi » (passagers et fret) étaient aussi de la fête : et ce n’étaient pas des OVNIs, ce qu’avait donc vu Le Temps, le 8 mai 1998 : « si la science-fiction n’existait pas, elle aurait très bien pu être inventée en Roumanie. Mi-avril, un Iliouchine ukrainien affrété par la compagnie bulgare Air Sofia en provenance d’Athènes atterrit sur l’aéroport militaire de Bucarest, un des endroits les plus stratégiques du pays.
Quelques heures plus tard, trois camions civils quittaient le même aéroport chargés de 3000 caisses de cigarettes de contrebande. Le lendemain, personne n’a rien vu, rien entendu. Mais l’affaire éclate dans tous les journaux en passant pour le plus gros scandale de l’après-communisme. L’ex-président Ion Iliescu, chef de file de l’opposition, dénonce «l’incompétence de ceux qui à la tête des institutions sont chargés de veiller au respect de la loi». Les critiques de l’ex-président, accusé souvent de néocommunisme, semblent alors être lancées à la légère. Mais quelques semaines plus tard, le colonel Gheorghe Trutulescu, considéré comme le «cerveau» de l’opération, est arrêté dimanche dernier, après une «cavale» effectuée apparemment sous haute protection.
Commandant adjoint du service de protection des personnalités (SPP), il faisait partie de l’entourage proche du président Constantinescu. Le «cerveau» est pour l’instant la septième personne arrêtée dans cette affaire. «Quelque 5 à 6 millions de dollars par an de bénéfice net étaient versés sur les comptes de certains partis», a avoué Trutulescu après son arrestation. Selon d’autres sources, ces trafics ont commencé dès 1990 avec la complicité des services réformés de l’ex-Securitate. Cette affaire qui ressemble à un règlement de comptes entre ces services affaiblit considérablement l’autorité du président chrétien-démocrate Emil Constantinescu, élu en novembre 1996″. De la période faste on a gardé un objet curieux chez Air Sofia (Bulgarie) : la queue d’un Ill-76 cargo, devenue signe de ralliement du golf et de l’hôtel de l’entreprise. Air Sofia ne possédait qu’un seul modèle il semble (mais ce n’est pas sûr) de ce très gros porteur… immatriculé LZ-SFN, même si elle en faisait la publicité… très retouchée il est vrai (il devait être loué en fait), car en réalité le LZ-SFN est un Antonov 12, le n°2340806, croisé ici à Nantes le 16 mai 2006:
A la tête du réseau de cigarettes figurait en effet le colonel du Service de sécurité et de protection (SPP) roumains, Gheorghe Trutulescu, qui a donc été arrêté en mai 1998 dans la cité d’Arad. L’année suivante, il avait écopé de sept années d’emprisonnement et 3 ans d’interdiction de droits par le Tribunal militaire territorial de Bucarest.
Il avait été jugé, avec 18 autres personnes, pour l’introduction illégale en Roumanie, par voie aérienne, de plus de 4 000 boîtes de cigarettes de contrebande et a même tenté à deux reprises de remettre en cause son jugement, sans succès, la deuxième fois en 2014 (ici à gauche), bien après avoir été libéré (dès 2003). En 2006, libéré, il avait ouvert une agence de détective privé dans le comté de Buzau !!!
J’avais expliqué ici en détail ce que Valentin avait découvert : au bout du trafic, il y avait en effet Shimon Naor (Shimon Naor-Hershkovitz), déjà décrit ici, l’ami de l’ex-président roumain Emil Constantinescu. Selon Valentin, les services secrets militaires roumains étaient au courant et protégeaient ce trafic, qui n’était pas seulement qu’un trafic de cigarettes, donc. Un trafic qui avait lieu sur l’aéroport de Bucarest et en même temps dans la zone de libre-échange d’Agigea, dans le port de Constanta (ici à gauche). Un trafic dont les revenus servaient aussi à soutenir selon lui des organisations islamistes (on va voir que ça a perduré jusqu’au Sahel aujourd’hui). A la tête du réseau on trouvait également George Dumitrescu, un des officiers de haut rang de la brigade anti-terroriste du SRI (Service de renseignement intérieure roumaine), « qui coordonnait les activités de citoyens arabes et de leurs frères musulmans en Roumanie » selon Valentin. A noter qu’ici en janvier 2005 le bulgare LZ-SFR servira de support aérien au Paris-Dakar : il est photographié à Ostende, portant le logo de l’épreuve et celui de Elf (ici à droite)…
les avions de Viktor Bout, impliqués dans le trafic, venant non seulement de Roumanie, mais aussi de la République de Moldavie voisine. Tel l’Antonov 12 LZ-SFK d’Air Sofia qui deviendra un temps Air Afrique (pour 8 mois en 1994) avant de retourner chez Air Sofia. Il passera ensuite au Sri Lanka, ira chez DHL Air puis deviendra United International Airlines (YU-UIC, en 2007) pour finir en 2008 stocké par S Group Aviation sous l’immatriculation EX-153. S Group, société aérienne bannie d’entrée en Europe pour manquements à la sécurité… A noter qu’Air Sofia faisait aussi dans les grandes largeurs, car elle possédait un Antonov 22, immatriculé LZ-SFD (en fait il était loué à l’Antonov Bureau auquel il reviendra en 1993. Il est aujourd’hui au musée Speyer en Allemagne (2) ):
Même chose aux Etats-Unis dans les années 70
Aux Etats-Unis, le trafic avait suivi la même progression, des dizaines d’années plus tôt plus tôt, à la frontière mexicaine, ce que je vous ai aussi expliqué ici déjà.
Ça avait aussi commencé avec des cigarettes et des bimoteurs plus petits, des QueenAir « Excalibur » ou des Beechraft « Volpar » Turboliner II, racontés par le truculent trafiquant « Wild Bill » Callahan, dans son livre Over&Back, qui lui importait de tout, le gouvernement mexicain de l’époque ayant tout surtaxé… On utilisait aussi des bateaux ultra-rapides, qui prendront le surnom, bien sûr, de … « cigarettes ». Les hors-bords monstrueux de Alan Hyde, un homme d’affaires hondurien. Ceux du constructeur spécialisé Donald Aronow,
Les fabricants sont en fait les premiers trafiquants !!!
Nous revoici en Roumanie. Le hic, c’est qu’à Otopeni même (5) , on trouvait aussi une entreprise de tabac, et pas n’importe laquelle : celle du cigarettier Philip Morris (ici à gauche). Elle avait été à vrai dire ouverte en 2001, avec 100 millions d’euros d’investissements mis sur la table par le cigarettier. Etrange situation donc : on faisait de la contrebande à l’endroit même où l’on a installé quelque temps plus tard la production ? N’était-ce pas risqué, plutôt, cette implantation ? Ou l’avait-elle été dans le but de raccourcir… le circuit de contrebande lui-même, pour continuer à dégager des profits ? Le soupçon, très vite, s’était installé en effet, le producteur étant accusé déjà au coulage de sa propre production pour alimenter le trafic, pour ne pas voir sa part de marché s’effondrer totalement (et continuer à vendre, sans passer par les taxes d’Etat qui réduisaient sa marge) !!! Terrible accusation, mais qui allait au fil du temps s’avérer exacte !!!
Il faudra attendre 10 ans encore en effet pour que l’usine s’arrête et reconnaisse en même temps son implication directe, en mettant ses 450 employés au chômage technique. La firme annonçant alors sans sourire que la fermeture était due en effet à deux facteurs principaux, le premier étant « la baisse des ventes de cigarettes« … et « la consommation de cigarettes de contrebande qui avait augmentée ». Les taxes d’Etat avaient elle aussi énormément augmenté, en effet, passant cette année là de 50 à 74 euros pour 1 000 cigarettes, en janvier 2010. Philip Morris insistant en déclarant « selon nos estimations internes actuelles, un paquet de cigarettes sur quatre est vendu illégalement et l’État roumain ne perçoit aucune taxe pour cela », avait déclaré Andrei Vasilescu, directeur des affaires générales de la société pour la Roumanie et la Bulgarie. » De façon plus étrange, la société reconnaissait alors implicitement que les ventes illégales étaient devenues un fait accompli, alimentant tout un secteur officiel de l’économie (même plus parallèle, donc) : « Philip Morris a fait remarquer que ses employés ne sont pas les seuls touchés par cette situation. Les cigarettes du marché noir ont également provoqué une baisse des ventes et la perte d’emplois pour les entreprises de distribution et les détaillants, a déclaré Vasilescu. «Les consommateurs finissent par acheter des cigarettes qui, dans de nombreux cas, sont de qualité douteuse. À grande échelle, cela se traduit par des pertes importantes pour le budget de l’État », a ajouté le directeur. » Pour l’Etat, mais pas totalement pour le fournisseur, s’il restait à la base le même… les utilisateurs, eux, étant persuadés que les cigarettes de contrebande étaient aussi bonnes que les « officielles ». A juste raison, car c’étaient les mêmes !!!
Une étonnante réaction
Dès les années 90 et les premières attaques contre la cigarette, vue comme cancérigène, les groupes cigarettiers avaient en effet résolu d’entretenir eux-mêmes la contrebande, puisque la vente elle-même était une question d’intermédiaires seulement. En tenant très tôt un double langage : un officiel décriant la contrebande et se plaignant des taxes trop élevées, et un officieux, se moquant des taxes et les contournant en alimentant eux-mêmes la contrebande. Et ce, très vite massivement, d’où l’usage de gros Antonov pour alimenter le circuit… Les consommateurs avaient raison de croire que les cigarettes de contrebande n’étaient pas moins bonnes… car c’étaient bien les mêmes en effet, contrairement au discours officiel des fournisseurs de tabac !! A l’époque les deux concurrents de Philip Morris s’appelaient JT International et British American Tobacco. Et ils faisaient de même, via une entente secrète passée entre eux. Mais entre deux la lutte contre le cancer avait fait son chemin et le cow-boy Malboro n’a plus dans les années 90 l’aura qu’il avait auparavant (à partir des années 60). Pour continuer à vendre, il fallait agir. Et c’est ce qu’ont fait des industriels du tabac. En misant tout… sur la contrebande !!!
A la mi-2010 l’horizon s’était pourtant beaucoup obscurci pour Philip Morris : « la liste des sanctions infligées à Philip Morris est également impressionnante : en Australie, Philip Morris International (PMI) a été condamné à une amende de 50 millions de dollars après un combat juridique de dix ans (en 2017). Une bataille similaire a été perdue au Royaume-Uni en 2014 ». Ceci pour avoir menti, entre autres, sur le dosage en goudrons des cigarettes, facteur d’apparition de cancer. En Europe c’est déjà pour avoir ouvertement favorisé et installé la contrebande que la firme était en difficultés : « dans l’Union européenne, PMI a été condamné à une amende de 1,25 milliard d’euros pour contrebande de cigarettes pour contournement des règles fiscales. Les cigarettes Philip Morris sont interdites en Norvège et la société a perdu un procès long et coûteux en tentant de lever l’interdiction.. La même chose s’est produite en Uruguay en 2016″. A l’époque PMI n’est qu’une des composantes du groupe Morris avec Altria, créée pour brouiller les pistes, et Kraft Foods (revendu en 2007, devenu depuis 2012 Mondelēz International).
Un lobbying sans précédent
Comme le note ici récemment Paolo-Fusi dans Mediapart, ce qui avait le plus atteint le groupe c’est en fait la décision de la la juge Gladys Kessler, (ici à gauche) qui en août 2006 avait accusé Altria et PMI pour « extorsion, fraude et contrefaçon dans le domaine social ».
Le tabagisme, perçu dès les années 50 par des médecins comme gravement nocif pour la santé, le cigarettier avait pourtant continué à clamer l’inverse, et surtout dépensé des milliards en propagande pour affirmer le contraire… Des sommes énormes, investies pour dénigrer la science et influer sur la politique médicale de nation entières via un lobbying considérable :« entre 2008 et 2014, Altria consacre 101 millions de dollars à une campagne de lobbying auprès des politiciens américains afin d’atténuer au maximum les lois anti-tabac en public ».
Cela avait en effet commencé tôt… avec Reagan comme support publicitaire favori (ou ce genre de publicité outrancière et provocatrice, ici à gauche, une vraie honte)... « Entre 2008 et 2014, Altria consacre 101 millions de dollars à une campagne de lobbying auprès des politiciens américains afin d’atténuer au maximum les lois anti-tabac en public. La masse salariale d’Altria comprend des partis historiques ainsi que des dizaines de membres du Congrès, des commissions d’enquête et des organisations civiques pour une somme
qui a dépassé 10,4 millions de dollars rien qu’en 2019. Altria et PMI ont fondé une association en 1993 (et toujours sponsor, avec diverses industries sidérurgiques et pétrolières) appelée TASSC (The Advancement of Sound Science Coalition), qui s’oppose à toutes les mesures de protection de la santé, de la sécurité et de la protection du travail et l’environnement avant le Congrès proposé par l’Agence américaine de protection de l’environnement. L’un des dirigeants d’Altria, Daniel Smith,
est membre du Private Enterprise Board d’une organisation de fondamentalistes conservateurs, presque tous membres du Parti républicain : l’American Legislative Exchange Council (ALEC) ». A droite, c’est le panel des représentants des cigarettiers lors de leur procès retentissant aux USA. En Europe, donc, le pli avait été pris : la contrebande s’était institutionnalisée, dans les faits, alors qu’elle continuait à être dénoncée médiatiquement par les deux partis, firmes de tabac et Etats, pour des raisons opposées, les deux étant d’une hypocrisie rare à ce stade, chacun sachant que l’autre mentait quelque part.
Les firmes productrices de tabac se sont effectivement lancées résolument dans la contrebande, ont eu pour cela des procès, mais ont quand même continué après. L’appât du gain était trop fort, et n’a toujours été que leur seul credo à vrai dire. Parfois, cette contrebande a pris des formes étonnantes (et aériennes), comme celle que nous allons étudier demain, si vous le voulez bien…
(1) aujourd’hui elles le font différemment, en récupérant à leur profit celui qui se présentait comme le champion de la lutte anti-tabac, Derek Yach, (ici à gauche) et qui a perdu depuis toute crédibilité.
Ces gens-là sont capables de tout en effet ! Rien ne les arrête ! Ils pourrissent tout à coups de millions de dollars pour garder leur empire mortifère !
Et en France: même topo, aussi scandaleux, avec la récupération de David Khayat, (celui qui arpente souvent les plateaux TV et surtout chez BFMTV pour venir parler de son patient décédé…). Ancien responsable du cancer à la Salpêtrière et ancien conseiller de Chirac sur la question, qui dans son dernier livre « Arrêtez de vous priver ») conseille d’essayer les cigarettes à base de tabac chauffé « moins toxiques » selon lui, exactement le discours du lobby pro-tabac qui tentent de les fourguer à qui-mieux-mieux. Il vient de se faire épingler en beauté par Le Canard du 21 avril dernier (ici à droite).
Un document officiel donne des précisions sur la réaction des cigarettiers et leur choix de s’impliquer dans le circuit parallèle de distribution : « avec les douanes du Royaume-Uni et de Lituanie assurant la direction de plusieurs interventions coordonnées avec leurs homologues d’autres pays européens et bénéficiant de l’appui d’Europol, l’agence européenne spécialisée dans la répression de la criminalité (28 août 2020 et 30 octobre 2019) ainsi que de l’Olaf, l’Office européen de Lutte anti-Fraude.
Au tableau de chasse : 67 millions de cigarettes saisies ainsi que 2,6 tonnes de tabac.
- • Les prises les plus significatives ont été faites aux contrôles-frontières des pays suivants : la Lituanie (28,7 millions de cigarettes dans de gros camions, voir photo) ; le Royaume-Uni (9 millions) ; l’Irlande (3,5 millions) ; la Roumanie (2,2 millions) ; la Lettonie (740 000) ; la Suède (500 000).
- • Deux autres données significatives :
- le total des saisies est évalué à 35,8 millions d’euros
• 88% de ces cigarettes venaient de Biélorussie, ce pays enclavé entre Russie et Pologne dont on a pas mal entendu parler ces derniers temps (voir 9 février 2017).
L’industrie du tabac bénéficie de la contrebande de la façon suivante:
– Les compagnies de tabac tirent un bénéfice du produit vendu, que ce soit en contrebande ou non. En effet, ils sont payés lorsqu’ils vendent au distributeur, que le produit entre ou non dans le canal légal ou illégal.
– La baisse du prix moyen du marché due à la contrebande décourage l’arrêt du tabac et augmente les ventes totales, en particulier les ventes parmi les principaux objectifs de l’industrie – les jeunes et les populations moins aisées.
– Les ventes illégales sapent les mesures de contrôle du tabac, notamment les hausses de taxes mais également les lois sur les conditionnements, et les restrictions d’âge sur les ventes.
– L’industrie utilise la contrebande pour réclamer une réduction des taxes, induisant une augmentation des ventes et de la consommation et une perte de revenus pour les pays.
– L’industrie utilise la contrebande pour s’opposer aux politiques de lutte antitabac, affirmant que toute politique augmentera la contrebande de tabac (malgré leur participation documentée).
– L’industrie utilise la contrebande comme une stratégie d’entrée sur les marchés où les importations sont restreintes ou les prix sont élevés
Les industries du tabac ont une longue histoire de complicité dans la contrebande du tabac : Au cours des années 1990, des documents accablants provenant des documents de l’industrie du tabac ont détaillé leur implication dans la contrebande de cigarettes à l’échelle mondiale. Le volume était sans précédent – un tiers des exportations mondiales de cigarettes étaient censées se retrouver sur le marché illicite, les industries du tabac approvisionnant presque exclusivement certains marchés via des canaux illicites
Certains des groupes de pression qui ont fait la promotion de Codentify© ont affirmé être indépendants de l’industrie du tabac, bien qu’ils aient des liens évidents avec elle.
La DCTA a annoncé avoir vendu Codentify à une société dénommée Inexto, une filiale du groupe français Impala, pour seulement un franc suisse. Les liens d’Inexto avec PMI sont clairs. Son directeur général est Philippe Chatelain, ancien directeur du suivi des produits et de la sécurité chez PMI depuis 14 ans.
- Les documents tirés de la British American Tobacco indiquent que la société a payé des informateurs pour obtenir des données sur ses concurrents en Afrique suggérant que ces derniers faisaient la contrebande. Ces données ont ensuite été utilisées pour gagner la confiance des autorités fiscales dans le but de détourner l’attention sur leurs propres actions.
Ultime précision à retenir : « en fait, 98 % des cigarettes de contrebande sortent directement des usines des fabricants (…) lesquels nourrissent, en quelque sorte, le commerce parallèle à l’insu de leur plein gré », nous dit un expert.
(2) la liste des avions d’Air Sofia : le plus étonnant est l’Antonov 124 (en location) :
Le journal citoyen est une tribune. Les opinions qu’on y retrouve sont propres à leurs auteurs.
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